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Urteil Kantonsgericht (VD)

Zusammenfassung des Urteils Jug/2015/504: Kantonsgericht

Eine türkische Staatsbürgerin, die seit 2005 ununterbrochen in der Schweiz lebt und einen C-Ausweis besitzt, war aufgrund von Rückenschmerzen arbeitsunfähig. Nach zwei Rückenoperationen und anhaltenden Beschwerden wurde ihr eine Invalidenrente gewährt. Die Rentenleistung wurde jedoch aufgrund einer Verbesserung ihres Gesundheitszustands ab dem 1. Oktober 2016 auf ein Viertel reduziert. Die Versicherte legte gegen diese Entscheidung Rekurs ein, der jedoch abgewiesen wurde. Die Gerichtskosten in Höhe von 400 CHF wurden der Versicherten auferlegt.

Urteilsdetails des Kantongerichts Jug/2015/504

Kanton:VD
Fallnummer:Jug/2015/504
Instanz:Kantonsgericht
Abteilung:Zivilkammer
Kantonsgericht Entscheid Jug/2015/504 vom 04.12.2015 (VD)
Datum:04.12.2015
Rechtskraft:-
Leitsatz/Stichwort:-
Schlagwörter : Assurance; éfend; éfende; éfenderesse; énérale; étention; ésé; énérales; étentions; Assuré; écution; Assureur; Aiguille; Exécution; Brehm; égal; égale; édicament; éparation; éférence; Embase; éfendre; éférences; Atteinte; ésolidarisation; érêt
Rechtsnorm:Art. 157 ZPO;Art. 33 VVG;Art. 404 ZPO;Art. 505 ZPO;Art. 59 VVG;Art. 84 ZPO;Art. 90 ZPO;Art. 92 ZPO;
Referenz BGE:-
Kommentar:
-

Entscheid des Kantongerichts Jug/2015/504

TRIBUNAL CANTONAL

CO10.009908

76/2015/PHC



COUR CIVILE

___

Audience de jugement du 4 décembre 2015

___

Composition : Mme BYRDE, présidente

M. Hack et Mme Rouleau, juges

Greffier : M. Vinçani

*****

Cause pendante entre :

I.__

(Me F. Tièche)

et

O.__

(Me A. Eigenmann)


- Du même jour -

Délibérant immédiatement à huis clos, la Cour civile considère :

En fait:

1. La demanderesse I.__ SA, société de droit suisse dont le siège est à Lausanne, rue [...] 10, a pour but la fabrication, la vente, l'importation, l'exportation et le commerce d'instruments médicaux et chirurgicaux, en particulier d’aiguilles hypodermiques et chirurgicales.

La défenderesse O.__ SA a son siège social à [...] 19, 8002 Zurich.

2. Le 21 septembre 2006, les parties ont conclu un contrat d'assurance responsabilité civile, selon police d'assurance [...] du 14 septembre 2006, couvrant les risques liés à la « fabrication d'aiguilles, de raccords, de robinets, plus toutes pièces de petites dimensions produites à partir de tubes et de fils en acier inoxydable ou autres métaux dans les domaines dentaire, médical, vétérinaire, pharmaceutique, laboratoire et industriel ». Ce contrat renvoie notamment aux conditions générales de l'assurance responsabilité civile des entreprises (éd. 01.2005) (ci-après : les conditions générales d'assurance ou CGA).

La police était valable jusqu'au 1er janvier 2012. La prime annuelle brute était de 36'086 fr. 40, droit de timbre compris. Etaient assurés à hauteur de dix millions de francs par année d'assurance l'ensemble des dommages corporels et matériels ainsi que les frais de prévention des dommages. La couverture était mondiale et comprenait en particulier la responsabilité civile du fait des produits. Le « risque produits » était défini dans les conditions générales d'assurance comme les « dommages résultant de la production et de la livraison de produits et de prestations de travail mis sur le marché », le genre de produit assuré selon la police étant notamment les aiguilles médicales et les raccords.

L'art. 1 let. a des conditions générales d'assurance décrivait en ces termes l’objet de l’assurance :

« a) Est assurée la responsabilité civile de l’entreprise désignée dans la police (y compris toutes les filiales et tous les lieux d’exploitation en Suisse et dans la principauté du Liechtenstein) en vertu des dispositions légales sur la responsabilité civile, en cas de

- dommages corporels, à savoir mort, blessures ou autres atteintes à la santé de tiers ;

- dommages matériels, à savoir destruction, détérioration ou perte de choses appartenant à des tiers. L'atteinte à la fonctionnalité d'une chose sans qu'il y ait d'atteinte à sa substance ne constitue pas un dommage matériel (…) ;

préjudices pécuniaires, à la condition, toutefois, qu'ils soient dus à un dommage corporel assuré ou à un dommage matériel assuré causé au lésé. »

Selon l'art. 7 let. l CGA (« limitation de l'étendue de l'assurance »), étaient exclues de l'assurance notamment :

« les prétentions tendant à l'exécution de contrats ou, en lieu et place de celle-ci, à des prestations compensatoires pour cause d'inexécution ou d'exécution imparfaite, en particulier celles relatives à des défauts ou dommages atteignant des choses ou des travaux que le preneur d'assurance, ou une personne agissant sur son ordre, a accomplis, livrés ou fournis et dont la cause tient à la fabrication, à la livraison ou à l'exécution ;

les prétentions pour les frais en rapport avec la constatation ou l'élimination des défauts ou dommages mentionnés à l'alinéa 1 ci-dessus, de même que des prétentions pour des pertes de rendement ou des préjudices pécuniaires consécutifs à de tels défauts ou dommages ; »

L'art. 1 let. b des conditions complémentaires d'assurance (« extension de couverture/risques supplémentaires également assurés ») prévoyait en outre ce qui suit :

« Perte d'usage

Si les choses fabriquées, livrées ou travaillées par un assuré ou par un tiers mandaté par lui, ont été endommagées ou détruites de façon soudaine et inattendue (p. ex. par suite de bris, d'explosion, d'incendie), les dispositions suivantes sont applicables, en dérogation partielle aux art. 1 et 7l alinéa 1 des CG :

L'assurance s'étend également à la responsabilité civile légale pour les pertes de revenu et autres préjudices pécuniaires résultant directement de l'impossibilité totale ou partielle d'utiliser des choses demeurées intactes (perte d'usage), pour autant que toutes les conditions ci-après soient simultanément réunies :

l'assuré ou un tiers mandaté par lui n'a ni fabriqué, ni livré les choses demeurées intactes, ni exécuté de travaux sur celles-ci ;

la détérioration ou la destruction trouve sa cause dans la fabrication, la livraison, la transformation de choses ou l'exécution de travaux par l'assuré ou par un tiers mandaté par lui ;

la détérioration ou la destruction est survenue après le contrôle, la réception et la mise en exploitation des choses fabriquées, livrées ou travaillées ou des travaux exécutés par l'assuré ou par un tiers mandaté par lui.

Les pertes de revenu et autres préjudices pécuniaires mentionnés sous alinéa 2 ci-dessus sont assimilés à des dommages matériels. »

Les prestations de la défenderesse consistaient dans le paiement des indemnités dues en cas de prétentions justifiées et dans la défense des assurés contre des prétentions injustifiées ; elles comprenaient également les intérêts du dommage et les intérêts moratoires, les frais de réduction du dommage, d'expertise, d'avocat, de justice, d'arbitrage, de conciliation, les frais de prévention de dommages et d'autres frais, par exemple des dépens alloués à la partie adverse (art. 9 let. b ch. 1 CGA).

Les conditions générales d'assurance prévoyaient encore que l'assureur conduit les pourparlers avec le lésé et que l'assuré doit s'abstenir de prendre position de manière indépendante sur les prétentions de celui-ci, notamment de payer des indemnités, de soutenir un procès, de conclure une convention de recours ou une autre transaction, ainsi que de reconnaître une responsabilité ou des revendications ; en cas de procès civil intenté par le lésé, l’assureur en prend la direction en lieu et place de l’assuré et en assume les frais dans le cadre de l’art. 9 let. b CGA (art. 22 CGA). Si le preneur d'assurance agit contrairement aux règles de la bonne foi contractuelle, l'assureur était libéré de ses obligations (art. 23 CGA).

L’art. 28 CGA prévoyait que le preneur d’assurance a le choix entre le for ordinaire ou le for de son domicile ou de son siège en Suisse.

3. a) E.__, dont le siège est au [...], en France, est active dans la fabrication de spécialités pharmaceutiques, en particulier injectables. Partie du groupe pharmaceutique [...], elle produit notamment le médicament « ZY, solution pour injection », conçu pour le traitement de l'acromégalie chez les patients pour qui le traitement chirurgical et/ou la radiothérapie n'ont apporté aucune normalisation de la sécrétion d'hormones de croissance, ainsi que pour le traitement de symptômes de tumeurs neuroendocrines. Ce médicament est enregistré comme marque et fait l'objet de plusieurs brevets. En Suisse, il est vendu à 1'806 fr. 25 pour une solution injectable de 60 milligrammes, 2'435 fr. 30 pour une solution de 90 milligrammes et 3'066 fr. 35 pour une solution de 120 milligrammes.

« ZY, solution pour injection » est commercialisé dans une seringue préremplie prête à l'emploi. Il est utilisable en dose unique et immédiatement après l'ouverture. Il n'est pas établi qu'il serait sensible à l'air.

b) En vertu d'un contrat de fourniture qui la lie à E.__, la demanderesse a produit et livré à cette société des aiguilles médicales pour seringues. E.__ assemble ces aiguilles avec les seringues de manière indémontable. Les relations contractuelles entre la demanderesse et E.__ sont régies par le droit français.

c) Selon la norme internationale ISO 7864, une aiguille non réutilisable est composée d'une embase, qui se place sur la seringue elle-même, d'une jonction et d'un tube d'aiguille. Cette norme prescrit que l'assemblage entre l'embase et l'aiguille ne doit pas être rompu par une certaine force minimale, appliquée soit en poussée, soit en traction, dans l'axe de l'aiguille (art. 13.1).

4. a) Par courrier du 30 avril 2009, E.__ a écrit ce qui suit à la demanderesse :

« Objet : Réclamation / Avis de non-conformité concernant des lots d’aiguilles du système d’injection de semi-solide pour seringues 0,3 ml et 0,5 ml

(…)

Monsieur,

Nous faisons suite à nos différents échanges relatifs à la livraison sur notre site de [...] (F- [...]) de lots d'aiguilles cités en objet non conformes à leurs spécifications.

Pour rappel, nos sociétés E.__ et I.__ SA ont signé le
17 juillet 2008 un contrat de fourniture déterminant les modalités relatives à la fourniture par I.__ à E.__ d'aiguilles pour seringue 0,3 ml (diamètre 1,2 / 1,0 x 20 mm) et 0,5 ml (diamètre 1,4 / 1,0 x 20 mm) pour la période commençant à courir à compter du 1er janvier 2008. Les parties ont par ailleurs signé un cahier des charges référencé C41074/06 (complété par un avenant référencé C41074/06-01) décrivant de manière détaillée les spécifications de ces aiguilles. I.__ SA s'est engagée en signant le contrat de fourniture à fournir des aiguilles conformes audit cahier des charges.

Ce cahier des charges prévoit notamment la conformité des aiguilles à la norme IS0 7864 prévoyant une force d'arrachage supérieure à soixante-neuf (69) newton.

Le 29 septembre 2008, nous avons constaté lors d'une analyse de routine, une désolidarisation de l'embase de la canule sur une aiguille du lot n° 84861 (lot E.__ n° T004 3006507) lors de l'essai d'injection du produit pour analyse, ce, sans avoir effectué de manipulation particulière autre que celle qui consiste à simuler l'injection.

Par la suite, nous avons observé les 1er et 7 octobre, une nouvelle désolidarisation sur deux (2) aiguilles des lots n° 83600 (lot E.__ n° T006 en 30000506) et n° 84861. La force d’injection est mesurée à vingt (20) newton pour cette opération.

Suite à ces événements et compte tenu du caractère critique présentant un risque pour l'administration du médicament au patient, nous avons immédiatement pris les dispositions nécessaires afin d'isoler les produits concernés, et avons de ce fait interrompu la fabrication des produits et bloqué toute expédition.

Cette situation nous a conduit par ailleurs à rencontrer des difficultés d'approvisionnement sur plusieurs marchés pour notre spécialité ZY L.P., solution injectable à libération prolongée en seringue préremplie. Conformément à nos obligations légales en tant qu'exploitant de spécialités pharmaceutiques, nous avons par ailleurs été contraints d'informer les autorités réglementaires ainsi que nos clients (hôpitaux et grossistes-répartiteurs) des difficultés que nous rencontrions.

Nous tenons certes à vous remercier pour les mesures correctives qui ont été mises en place ainsi que pour l'avoir d'un montant de 140.815 € que vous avez émis en notre faveur sur les factures d'aiguilles déclarées non conformes ou d'aiguilles simple colle non utilisées. Toutefois, comme cela vous avait déjà été précisé, notre société a subi un préjudice beaucoup plus important sur les produits semi ouvrés et les produits finis impactés que le montant de cet avoir.

Nous avons en effet évalué ce préjudice de la manière suivante :

surcoûts internes : 22.915 €

surcoûts supplémentaires (mailing aux pharmaciens d'officine, analyses microbiologiques ...) : 78.436 €

- dépréciation de stocks : 1.551.392 € dont 46.085 € (valeur des aiguilles nues sur les PF/PSO) ont déjà fait l'objet d'un avoir dans le cadre de l'avoir émis d'un montant total de 140.815 € H.T.

produits expédiés bloqués : 116.734 €

Déduction faite du montant de l'avoir correspondant à la valeur des aiguilles nues s'élevant à 140.815 €, le préjudice direct subi par E.__ s'élève à ce jour à 1.723.392 €.

Nous sommes dans l'attente de la réparation par votre société de ce préjudice. Dès lors, nous vous serions (sic) gré de nous indiquer les mesures que vous comptez prendre à cet effet et ce, dans un délai d'un (1) mois.

Dès à présent, nous réservons nos droits. »

Le lot n° 84861 auquel ce courrier fait référence a été réceptionné par E.__ en date du 4 juin 2008.

b) Il n'est pas établi qu'un avocat aurait eu un quelconque contact avec E.__ pour le compte de la demanderesse.

5. a) En date du 15 décembre 2008, la demanderesse avait rempli et adressé à la défenderesse une déclaration de sinistre pour un cas survenu le
6 octobre 2008. Ce sinistre avait déjà été signalé à un dénommé [...] d'O.__ SA lors d'un entretien du 12 novembre 2008. Sous rubrique « dégâts matériels aux tiers », E.__ a été mentionnée comme partie lésée et le dommage évalué à 1'500'000 euros.

Des échanges de courriers ont ensuite eu lieu entre la demanderesse et la défenderesse ainsi qu’entre cette dernière et [...] Protection Juridique SA. Soutenant qu'il y avait en l’espèce une atteinte à la fonctionnalité des seringues, et non à leur substance, la défenderesse a refusé ses prestations en se fondant sur l'art. 1 let. a de ses conditions générales d'assurance.

b) Depuis 2008, la demanderesse n'a pas annoncé à la défenderesse d'autre sinistre que celui litigieux.

6. La défenderesse allègue qu'en date du 1er mai 2014, aucune action n'avait été ouverte par E.__ (réd. : contre la demanderesse) ; le contraire n'est pas établi. Il n'est pas non plus établi qu'à cette même date, E.__ aurait, par un autre acte, interrompu la prescription contre la demanderesse.

7. Jusqu’à fin 2014 en tout cas, la demanderesse continuait à livrer ses produits à E.__ et détenait régulièrement des créances contre cette société. En date du 31 décembre 2014, E.__ lui était redevable d’un montant total de 223'943 francs.

8. La défenderesse a produit un document intitulé « preuve du droit », censé établir que les actions susceptibles d’être introduites contre la demanderesse devant les juridictions françaises n’auraient pas de chances de succès parce qu’elles seraient soit inapplicables, soit prescrites. Ce document, qui sera discuté au besoin dans la partie droit, a toutefois été cosigné par son propre conseil, de sorte que sa valeur probante est sujette à caution.

9. En cours d'instance, une expertise a été confiée à [...], de [...] SA, lequel a déposé son rapport le 25 février 2013 et un rapport complémentaire le 21 juin 2013. Les constatations et conclusions de l’expert sont en substance les suivantes :

a) Le procédé de fabrication de la seringue préremplie « ZY » consiste à mélanger l'acétate de lanréotide avec de l'eau pour injection, afin de former une solution sursaturée qui est ensuite transvidée dans une seringue en polypropylène selon la dose prévue. L’aiguille, composée d'une embase et d'une canule (fabriquées par la demanderesse), et la gaine d'aiguille sont fixées à cette seringue. Les différentes opérations doivent être effectuées dans des locaux à atmosphère contrôlée.

Les médicaments fabriqués par des sociétés telle qu’E.__ doivent répondre aux exigences d’une autorisation de mise sur le marché. Les sociétés pharmaceutiques doivent garantir notamment que tous les contrôles des produits intermédiaires ont été effectués, que le produit fini a été convenablement fabriqué et contrôlé et qu'il n'est pas vendu ou expédié avant que le pharmacien responsable ait certifié que chaque lot de production a été fabriqué et contrôlé conformément aux exigences de l’autorisation de mise sur le marché et de toute autre réglementation applicable.

b) « ZY » est un médicament injectable et doit être stérile. D'un point de vue purement technique, une fois introduit dans la seringue, le produit pourrait être retiré et reconditionné si l'on suivait une procédure rigoureuse (travailler dans des locaux à air contrôlé, remplacer tous les systèmes d'injection, effectuer plusieurs tests pour s'assurer qu'il n'y a pas eu d'altération du produit et, le cas échéant, stériliser à nouveau le médicament récupéré). Toutefois il ne faut pas perdre de vue les spécificités de ce produit et le domaine (pharmaceutique) en question.

De manière générale, en cas de désolidarisation de l'embase et de la canule (en l'occurrence assemblées chez la demanderesse), leur réassemblage est possible. Toutefois, lorsque cette désolidarisation intervient au stade de l'assemblage du système complet (en l'occurrence effectué par E.__), il n'est pas envisageable de réparer l'embase et la canule, soit de les réassembler. Vu les caractéristiques de ZY, solution pour injection» seringue préremplie d'une solution, munie d'une aiguille en acier, recouverte d'une gaine de protection et conditionnée dans une pochette plastifiée -, une désolidarisation de l'embase et de la canule modifie physiquement le produit pharmaceutique dont il s'agit. Elle modifie la substance atomique de la seringue, c’est-à-dire le contenant. Le contenu n'est en revanche pas modifié ; à cet égard, ni la stérilisation, ni la stabilité du produit à l'air libre ne posent de problème directs. La désolidarisation modifie donc le poids et l'apparence du dispositif d'injection, autrement dit le produit dans son ensemble. Elle ne modifie en revanche pas le contenu du dispositif, soit la substance active, qui n’est pas atteinte, mais la fonctionnalité du produit. Conformément à l'autorisation de mise sur le marché, « ZY, solution pour injection» ne peut être vendu qu'en seringue prête à l'emploi ; sans l'aiguille, le médicament ne peut donc pas être administré.

Par « produit pharmaceutique », il faut comprendre le produit final selon l'autorisation de mise sur le marché, soit la seringue prête à l'emploi dans sa pochette plastifiée, par « substance atomique de la seringue », le système d'injection qui se compose de la seringue, de l'embase et de la canule, et par « substance », le principe actif du médicament, soit la solution sursaturée à libération prolongée. Le produit final « ZY » a donc bien été modifié physiquement par la désolidarisation de l'embase et de la canule de l’aiguille, mais pas sa substance, entendu comme le principe actif du médicament.

c) En conclusion, un réassemblage de l'embase et de la canule n'est dans le cas concret pas envisageable, à moins que l'on procède à un reconditionnement complet du médicament, et « ZY » ne peut être utilisé autrement que sous la forme d’une seringue prête à l'emploi.

10. Par demande du 23 mars 2010, I.__ SA a pris, sous suite de frais et dépens, les conclusions suivantes :

« (…)

B) AU FOND :

IV. La demande est admise;

V. Ordonner à O.__ de défendre I.__ SA contre les prétentions d'E.__ formulées dans le courrier du 30 avril 2009 adressé par E.__ à I.__ SA ;

VI. Ordonner à O.__ SA de prendre à ses frais la direction, en lieu et place d'I.__ SA, du procès civil que pourrait ouvrir E.__ en relation avec les faits évoqués dans le courrier du 30 avril 2009 adressé par E.__ à I.__ SA ;

VII. Condamner O.__ SA à couvrir le sinistre mentionné dans l'avis de sinistre rempli le 15 décembre 2008 par I.__ SA, police no [...], soit en particulier à payer les indemnités dues à concurrence de CHF 10'000'000.- (dix millions de francs suisses) en cas de prétention justifiées d'E.__, y compris les intérêts, les frais de réduction du dommage, d'expertise, d'avocat, de justice, d'arbitrage, de conciliation, les frais de prévention de dommages et d'autres frais (par exemple des dépens alloués à la partie adverse) »

Dans sa réponse du 1er juillet 2010, la défenderesse a conclu au rejet de la demande, avec suite de frais et dépens. Par duplique complémentaire après réforme, du 30 octobre 2014, elle a conclu principalement à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.

Chaque partie a déposé un mémoire de droit.

En droit:

I. La procédure ayant été introduite avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2011, du Code de procédure civile suisse (ci-après : CPC ; RS 272), l'ancien droit de procédure, en particulier le Code de procédure civile vaudoise (ci-après : CPC-VD, dans sa teneur en vigueur au 31 décembre 2010 ; RSV 270.11), est applicable (art. 404 al. 1 CPC).

II. Il est constant que les parties ont été liées par un contrat d'assurance responsabilité civile dont les clauses sont celles prévues par la police [...], ainsi que par les conditions générales et particulières d'assurance auxquelles renvoie ce contrat. La couverture d’assurance inclut le « risque produits », défini comme les dommages résultant de la production et de la livraison de produits et de prestations de travail mis sur le marché, le genre de produit assuré comprenant en particulier les aiguilles médicales.

La demanderesse estime que le préjudice dont E.__ lui a demandé réparation dans son courrier du 30 avril 2009 est un dommage matériel au sens de l’art. 1 let. a des conditions générales d’assurance, soit un risque assuré par le contrat. Dans la mesure où elle exclut des dommages matériels ceux qui résultent d’une atteinte à la seule fonctionnalité d’une chose, cette disposition constituerait de toute manière une clause insolite et ne lui serait donc pas opposable. La demanderesse conclut à ce qu'il soit ordonné à la défenderesse de la défendre contre les prétentions formulées dans ce courrier (V), en particulier de prendre sa place dans le procès civil qui pourrait être ouvert par E.__ (VI) ; elle demande en outre à ce que la défenderesse soit condamnée à couvrir le sinistre, en particulier à payer, jusqu’à concurrence du montant maximal prévu par la police, les indemnités dues en cas de prétentions justifiées (VII).

La défenderesse conteste en premier lieu la recevabilité de ces conclusions, au motif qu'elles seraient constatatoires et que la demanderesse ne justifierait d'aucun intérêt juridique et actuel à ce qu'elles lui soient allouées, ce d’autant moins que les droits d’E.__ seraient aujourd’hui prescrits. Elle soutient ensuite que, dans la mesure où cette société se prévaut d’une mauvaise exécution du contrat la liant à la demanderesse, son prétendu dommage relèverait du risque d’entreprise, lequel est expressément écarté de la garantie par les conditions générales d’assurance. Ce dommage résulterait au demeurant d’une atteinte à la seule fonctionnalité des produits d’E.__, de sorte qu’il s’agirait d’un dommage exclu de la couverture d’assurance par l’art. 1 let. a de ces mêmes conditions générales.

III. a) Une conclusion est condamnatoire lorsque le demandeur fait valoir une prétention tendant à condamner le défendeur à effectuer une certaine prestation. Il peut s’agir d’une condamnation à faire quelque chose (p. ex. payer), à ne pas faire (p. ex. prohibition de concurrence), à cesser de faire (p. ex. cessation d’un trouble) ou à laisser faire (p. ex. permettre l’exercice d’une servitude) (Bohnet, in Bohnet et al. (éd.), Code de procédure civile commenté, n. 10 ad art. 84 CPC; Leuch/Marbach/Kellerhals/Sterchi, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, Berne 2000, n. 3a ad art. 157 ZPO-BE et les références citées; Frank/Sträuli/
Messmer, Kommentar zur zürcherischen Zivilprozessordnung, Zurich 1997, n. 5 ss ad § 100 ZPO-ZH et les références citées). Le but d’une telle conclusion est d'obtenir du juge qu'il condamne le défendeur à prester, le jugement constituant alors un titre permettant au demandeur, si le défendeur ne s’exécute pas, d'obtenir l'exécution forcée.

Par une conclusion constatatoire, le demandeur sollicite en revanche du juge qu'il constate l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'un rapport de droit déterminé. Une telle conclusion n’est recevable que si le demandeur a un intérêt important et digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. Cet intérêt fait en principe défaut pour le titulaire du droit lorsque celui-ci dispose d'une action en exécution, en interdiction ou d'une action formatrice, immédiatement ouverte, qui lui permettrait d'obtenir directement le respect de son droit ou l'exécution de l'obligation (ATF 135 III 378 consid. 2 ; ATF 135 I 119 consid. 4 ; ATF 123 III 49 consid. 1a), ce qui est le cas en règle générale lorsque ses prétentions sont totalement exigibles (ATF 103 II 220 consid. 3 et les références citées).

b) En l’occurrence, la première conclusion (V) litigieuse tend à ce qu’il soit ordonné à la défenderesse de défendre la demanderesse contre les prétentions émises par E.__ dans son courrier du 30 avril 2009. C’est clairement une prestation de faire quelque chose (« défendre ») qui est sollicitée. La conclusion V n’est donc pas constatatoire, mais bien condamnatoire.

Sous chiffre VI de ses conclusions, la demanderesse requiert qu’il soit ordonné à la défenderesse de prendre à ses frais la direction du procès que pourrait ouvrir E.__ en relation avec les faits évoqués dans le courrier précité. Cette conclusion également a pour but d’obtenir du juge qu’il condamne la défenderesse à une prestation de faire. Elle a donc un caractère condamnatoire. Il est vrai qu’elle est aussi conditionnelle, en ce sens que la défenderesse ne devrait s’exécuter, soit prendre la direction du procès, que si celui-ci est ouvert. Cela signifie que, tant qu’il n’y a pas de procès, autrement dit que la condition n’est pas remplie, la condamnation de la défenderesse resterait sans effet. Mais si la condition venait à être remplie, le jugement, condamnatoire, déploierait ses effets et la défenderesse devrait s’exécuter, faute de quoi la demanderesse pourrait obtenir l’exécution forcée. Le fait que la conclusion VI a pour premier effet même souhaité ou voulu par la demanderesse - d’éclaircir la situation en attendant la réalisation éventuelle de la condition ne signifie ainsi pas que cette conclusion doive être considérée comme constatatoire.

Les considérations qui précèdent valent, mutatis mutandis, pour la conclusion VII. Celle-ci tend bien à condamner la défenderesse à couvrir le sinistre, en particulier à payer les indemnités dues en cas de prétention justifiées du lésé, soit à une prestation de faire. Cette conclusion est, elle aussi, conditionnelle, en ce sens que l’obligation de payer ne serait effective que dans l’hypothèse où les prétentions du lésé se révélaient justifiées, mais pas constatatoire, en ce sens que si la condition venait à être remplie, le jugement déploierait un effet condamnatoire à l’égard de la défenderesse, qui serait alors tenue de payer.

c) Cela étant, les conclusions VI et VII sont irrecevables précisément en raison de leur caractère conditionnel. En effet, des conclusions ne peuvent être conditionnelles que si elles sont alternatives, subsidiaires ou reconventionnelles. Des conclusions principales conditionnelles ne sont pas admissibles (Hohl, Procédure civile, t. I, 2001, nn. 223-229 ; Jeandin/Peyrot, Précis de procédure civile, 2015,
n. 255; Staehelin/Staehelin/Grolimund, Zivilprozessrecht, 2e éd., Zurich 2013, n. 14 ad § 14 et les références citées; Leuch/Marbach/Kellerhalls/Sterchi, op. cit., n. 3b ad art. 157 ZPO-BE; Frank/Sträuli/Messmer, op. cit., n. 5 ad § 100 ZPO-ZH; Kummer, Grundriss des Zivilprozessrechts, Berne 1978, p. 107). Le fait qu’une condamnation conditionnelle soit possible (art. 505 CPC-VD), notamment dans le cadre d’une exécution « donnant donnant » selon l’art. 82 CO (TF 4P.155/2003 du 19 décembre 2003 consid. 8 et les références citées, SJ 2004 I 472 ; Hohl, in Thévenoz/Werro (éd.), Commentaire romand CO I, n. 10 ad art. 82 CO; Staehelin/Staehelin/
Grolimund, loc. cit.), ou lorsqu’elle permettrait de lever l’obstacle résultant de l’inexigibilité d’une créance récursoire selon l’art. 148 CO (même arrêt), ne permet pas au demandeur de prendre une conclusion conditionnelle. On conçoit mal une action récursoire sans action principale. D’une manière générale, le Tribunal applique le droit à des faits avérés et établis. Il n’a pas à se prononcer sur des obligations dont la naissance dépend d’événements futurs incertains en l’occurrence l’ouverture d’un procès par E.__ et/ou la reconnaissance du caractère justifié de ses prétentions. La demanderesse ne justifie ainsi d’aucun intérêt actuel et digne de protection à ce que la Cour civile statue sur ses conclusions VI et VII, qui doivent dès lors être déclarées irrecevables.

La conclusion V, tendant à ce que la défenderesse soit condamnée à défendre la demanderesse, ne comporte aucune condition, la défenderesse étant tenue, en cas de condamnation, de s’exécuter immédiatement. Mais comme toute conclusion, elle doit aussi présenter un intérêt pour la demanderesse (TF 4C.7/2003 du 26 mai 2003 consid. 5), faute de quoi elle serait irrecevable. La question de savoir si un tel intérêt existe en l’espèce doit être examinée au regard des principes qui régissent l’assurance responsabilité civile, en particulier la notion de risque.

IV. a) Par un contrat d’assurance responsabilité civile, l’assureur s’engage, moyennant le paiement d’une prime, à garantir le patrimoine de l’assuré contre les conséquences financières de la responsabilité civile éventuelle de celui-ci (Brehm, Le contrat d’assurance RC, 1997, n. 1). L’assurance responsabilité civile est donc une assurance contre les dommages, au sens des art. 48 ss LCA (loi fédérale sur le contrat d’assurance ; RS 221.229.1), laquelle protège le patrimoine de l’assuré.

Le sinistre se définit généralement comme la réalisation du risque assuré, soit la survenance de l’événement redouté en vue duquel le contrat a été conclu (ATF 136 III 334 consid. 3). Il peut consister en l’obligation pour l’assuré de se défendre contre des prétentions excessives ou infondées d'un tiers ou, en cas d'engagement de sa responsabilité, de verser des dommages-intérêts au tiers lésé (TF 5C.237/2001 du 11 janvier 2002 consid. 3a, rés. in SJ 2002 I 272). La survenance du sinistre entraîne ainsi pour l’assureur deux obligations principales : payer les indemnités dues en cas de prétentions justifiées du lésé, d'une part, et défendre l'assuré contre des prétentions injustifiées, d'autre part (Brehm, op. cit.,
n. 375 ss ; Brulhart, Droit des assurances privées [cité ci-après : Droit des assurances], n. 721). La conclusion V de la demanderesse relève clairement de cette obligation de défense.

Le choix du mode de liquidation appartient à l’assureur, mais celui-ci est obligé d’agir alternativement, de défendre ou de payer. Une même prétention du lésé pouvant être fondée seulement en partie, ces obligations sont non seulement alternatives, mais également complémentaires : dans la mesure où la prétention est fondée, l’assureur paye, dans la mesure où elle ne l’est pas, il défend (Brehm,
op. cit., n. 384).

En règle générale, l'assuré peut prétendre aux prestations prévues par le contrat lorsque l'événement dont on craint la survenance, soit le sinistre, se produit au cours de la période de validité du contrat (ATF 100 II 403 consid. 3). En matière d'assurance responsabilité civile, la détermination de l’événement constituant le sinistre, soit la réalisation du risque ou la survenance de l'événement redouté, fait toutefois l’objet de controverses en doctrine (Brehm, op. cit., n. 23 ; Meuwly, La durée de la couverture d'assurance privée, thèse 1994, p. 49). Suivant l’idée que tout dommage causé par un lésant entraîne fatalement soit une obligation de défense, soit une obligation de payer, certains auteurs considèrent qu’il y a sinistre dès qu'un tiers subit un dommage (cf. les auteurs cités par Brehm, op. cit., n. 27 et par Meuwly, op. cit., p. 51). Pour d’autres, le fait qu’un dommage ait été causé n’implique pas nécessairement un préjudice pour l’assuré, le lésé pouvant, pour des raisons diverses (ignorance, magnanimité, relations personnelles), se satisfaire de son sort et ne pas demander réparation, de sorte qu’il n’y aurait pas de dommage chez l’assuré, ni de sinistre pour l’assureur en responsabilité civile ; le sinistre ne survient donc qu’au moment où le lésé forme une demande en réparation de son dommage (Brehm, op. cit., n. 28 et les auteurs cités et n. 181). Selon ce dernier auteur, en matière de responsabilité civile, le risque réside ainsi dans le fait que l’assuré doive payer des dommages-intérêts ou faire des dépenses pour se défendre contre des prétentions excessives ou infondées (op. cit., n. 183).

Après s’être rallié dans un premier temps à la théorie de la réclamation du lésé (ATF 56 II 212 consid. 3), le Tribunal fédéral a ultérieurement laissé la question indécise (ATF 100 II 403 consid. 3 précité ; cf. également TF 5C.237/2001 du 11 janvier 2002 consid. 3b, qui relève cependant que la distinction n’a d’intérêt que lorsque le décalage entre le jour de l’acte dommageable et celui de la demande en réparation du lésé peut se révéler décisif en fonction du moment de la conclusion du contrat d’assurance ou celui de sa résiliation, autrement dit en relation avec la question de savoir si le sinistre est couvert ; en ce sens également cf. Brehm, op. cit., n. 321 ss).

b) En l’espèce, l’obligation de défendre incombant à la défenderesse en cas de sinistre est expressément prévue par l’art 9 let. b des conditions générales d’assurance. La défenderesse ne conteste du reste pas qu’elle est liée par une telle obligation.

Il est constant que la demanderesse a livré des aiguilles médicales à la société E.__, laquelle les utilise pour fabriquer son produit pharmaceutique « ZY, solution pour injection ». Par courrier du 30 avril 2009, cette société a informé la demanderesse avoir constaté, à l’occasion de divers tests réalisés entre le 29 septembre et le 7 octobre 2008, que des aiguilles contenues dans certains lots livrés présentaient une force d’arrachage inférieure à celle requise, provoquant, au moment de l’injection, la désolidarisation de l’embase et de la canule. Elle a invoqué de ce fait un dommage de plus de 1,7 million d’euros, dû en grande partie à la dépréciation de son stock de seringues déjà assemblées et impactées. Dans ce même courrier, E.__ a déclaré être dans l’attente de la réparation de son dommage.

Il y a donc bien eu un acte dommageable causé par un fait dont répond la demanderesse et une demande en réparation du lésé, soit un « sinistre ». Aussi bien l’acte dommageable que la demande du lésé sont intervenus pendant la durée de validité du contrat d’assurance et le sinistre a été annoncé à la défenderesse le 15 novembre 2008, puis à nouveau le 12 décembre suivant. Dès lors, et pour autant que les conditions d’assurance soient réunies, autrement dit que le cas soit couvert (cf. infra, ch. V), l’obligation de défendre qui incombe à la défenderesse en vertu du contrat a pris naissance et est devenue exigible. Il est vrai qu’E.__ n’a plus renouvelé sa demande depuis son courrier précité, ni n’a ouvert action en justice. Mais cela ne permet pas d’en déduire qu’elle n’a pas demandé réparation de son dommage, ni qu’elle y aurait renoncé implicitement par la suite. La présente action a d’ailleurs été ouverte en 2010, peu après l’échec des discussions entre les parties et le refus de la défenderesse de couvrir le sinistre ; il n’est donc pas exclu qu’E.__, qui continue à se fournir chez la demanderesse, ait décidé d’attendre l’issue du procès avant de revenir à la charge. Quoi qu’il en soit, il subsiste encore pour la demanderesse le risque de subir une perte patrimoniale, d’où son intérêt, juridique et actuel, à ce que la défenderesse soit condamnée à la défendre.

L’argument selon lequel les droits que fait valoir E.__ seraient prescrits ne change rien à cette appréciation, et ce, indépendamment de la question de savoir si le droit français (applicable à la relation contractuelle entre l’assuré et le lésé) permet ou non d’opposer en compensation une créance prescrite. Tout d’abord, la prescription ne garantit nullement au débiteur que le créancier ne tentera pas de faire valoir ses droits. Ensuite, si, comme le soutient la défenderesse, il y a bien prescription, cela signifie tout au plus que les prétentions d’E.__ seraient aujourd’hui « injustifiées » pour ce motif, en ce sens qu’une action en justice ne devrait pas aboutir, pour autant toutefois que la prescription soit invoquée, le juge ne pouvant pas suppléer ce moyen d'office (art. 2247 du code civil français). La demanderesse ne serait alors pas tenue à réparation envers le lésé et, de son côté, la défenderesse n’aurait pas à l’indemniser. C’est donc sur l’obligation de payer de l’assureur que la prescription des droits du lésé pourrait avoir une incidence, non sur celle de défense. Cette dernière prend tout son sens précisément en cas de prétentions injustifiées. Elle subsiste même lorsque les droits du lésés sont prescrits (Brehm, op. cit., n. 332).

Certains auteurs (Roelli/Jaeger, Kommentar zum VVG, t. II, 1932,
p. 253 n. 3 ad art. 59 LCA ; Masshard, Die Rechtsnatur des Haftpflichtversicherungs-Anspuches, thèse 1946, p. 20 ; Fässler, Das Befürchtete Ereignis in der Haftpflichtversicherung, thèse 1949, p. 15, cités par Brehm, op. cit., n. 384, note infrapaginale 10) seraient d’avis que la prestation de défense ne peut pas faire l’objet d’une action judiciaire en exécution et que les frais de justice et d’avocat doivent être avancés par l’assuré, qui peut ensuite agir en paiement contre l’assureur. Cette opinion, erronée selon Brehm (ibid.), n'est guère convaincante. On ne voit pas pour quelle raison une des obligations principales que l'assureur s'est engagé contractuellement à fournir ne serait pas susceptible d'être obtenue par la voie judiciaire. Cela reviendrait à en faire une obligation naturelle (ou imparfaite). Or, en principe, toute prétention que l’ordre juridique considère comme digne de protection peut être déduite en justice (Bohnet, op. cit., n. 4 ad intro. art. 84-90 CPC). Démunies d’action, les obligations naturelles n’existent que dans les cas prévus par la loi (p. ex. l’art. 513 CO sur les dettes de jeu, dans les limites toutefois de l’art. 513a CO), ou encore lorsque les parties elles-mêmes conviennent de priver le créancier du droit d’action (pactum de non petendo) (Tercier/Pichonnaz, Le droit des obligations,
5e éd., n. 299 ; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 45). Il n’y a rien de tel en l’espèce en ce qui concerne l’obligation de défense de l’assureur de la responsabilité civile, ni dans la loi ou la jurisprudence, ni dans les clauses du contrat d’assurance liant les parties.

A cela s’ajoute que les conditions des contrats d'assurance prévoient, d’une façon générale, que l'assureur conduit seul les pourparlers avec le lésé et que l'assuré doit s'abstenir de s'y immiscer, de prendre personnellement position sur les prétentions du lésé ou de reconnaitre sa responsabilité, sous peine d'être déchu de ses droits (Brehm, op. cit., nn. 347 ss). Les conditions générales de la défenderesse contiennent d'ailleurs une règle analogue (art. 22 et 23 CGA). Il serait donc contradictoire d’exiger de la demanderesse qu’elle se défende seule, puis, par la suite, de la déchoir pour ce motif de ses droits contre la défenderesse. L’obligation de défense incombant à cette dernière en vertu de l’art. 9 let. b CGA est donc, sur le principe, susceptible d’être obtenue par la voie de l’action en justice (Brehm, op. cit., n. 381 in fine).

La conclusion V de la demanderesse étant en définitive recevable, il reste à examiner si le cas est couvert.

V. a) L’assurance responsabilité civile ne couvre pas les conséquences de tout acte dommageable sur le plan civil, mais seulement celles qui résultent du risque assuré, lequel peut être privé, professionnel, lié à l’utilisation d’un véhicule, etc. (Brehm, op. cit., n. 194).

En l’espèce, la police d’assurance responsabilité civile liant les parties concerne l’activité professionnelle de la demanderesse, le risque assuré étant celui résultant de la fabrication d'aiguilles, de raccords, de robinets ou d’autres pièces de petites dimensions, dans le domaine pharmaceutique notamment. On est donc en présence d’une assurance responsabilité civile d'entreprise (Brehm, op. cit., n. 206), laquelle limite le risque assuré à l’activité en cause. Le dommage invoqué par E.__ dans son courrier du 30 avril 2009 a trait à une prétendue défectuosité des aiguilles médicales fabriquées et livrées par la demanderesse, soit à une activité assurée par la police d’assurance. Ce point n’est au demeurant pas contesté par la défenderesse.

b) Sauf disposition contraire de la loi, l'assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l'assurance a été conclue, à moins que le contrat n'exclue certains événements d'une manière précise, non équivoque (art. 33 LCA). Cela signifie que, si tout événement qui relève du risque assuré fonde en principe un droit à l'indemnisation lorsqu'il se réalise, les parties peuvent convenir généralement sous la forme de dispositions préformulées dans les conditions générales d'assurance - de clauses d'exclusion qui limitent l'étendue de la couverture d'assurance par rapport à certains événements, à certaines personnes ou à certains biens, ou encore en raison des circonstances dans lesquelles un sinistre survient (TF 5C.175/2003 du 24 février 2004
consid. 3.1.2 ; Viret, Les clauses d'exclusion des contrats d'assurance, en particulier dans les assurances automobiles, in RSA 62/1994 p. 247 ss). A côté de telles exclusions dites directes, pour lesquelles les parties recourent à une formulation du type « tout est couvert, sauf... », la pratique connaît également la forme des exclusions indirectes, en ce sens que les conditions d'assurance délimitent d'entrée de cause de façon restrictive le risque couvert (Viret, op. cit., p. 249).

Les dispositions d’un contrat d'assurance et les conditions générales qui y ont été expressément incorporées doivent être interprétées selon les principes qui gouvernent l'interprétation des contrats (ATF 135 III 410 consid. 2 et les références citées ; ATF 135 III 1 consid. 2, JdT 2011 II 516). Lorsque, comme en l’espèce, des conditions générales font partie du contrat d'assurance, l'assureur manifeste la volonté de s'engager selon la teneur de ces conditions. Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si leurs volontés intimes divergent, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance. Il doit donc rechercher comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi en fonction de toutes les circonstances, le principe de la confiance permettant d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même s'il ne correspond pas à sa volonté intime. Le preneur d’assurance est donc couvert contre le risque tel qu'il pouvait le comprendre de bonne foi en lisant les conditions générales. Quand l'assureur entend apporter des restrictions ou des exceptions, il lui appartient de le dire clairement. Conformément au principe de la confiance, c'est à lui qu'il incombe de délimiter la portée de l'engagement qu'il entend prendre et le preneur d’assurance n'a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 135 III 410
consid. 3.2 précité ; ATF 133 III 675 consid. 3.3, JdT 2008 I 508 ; TF 4A_228/2012 du 28 août 2012 consid. 3.2, non publié aux ATF 138 III 659 ; TF 4A_644/2014 du
27 avril 2015 consid. 1.2)

aa) La défenderesse se prévaut tout d’abord de l’art. 7 des conditions générales d’assurance, selon lequel sont exclues de l’assurance « les prétentions tendant à l’exécution de contrats ou, en lieu et place de celle-ci, à des prestations compensatoires pour cause d'inexécution ou d'exécution imparfaite, en particulier celles relatives à des défauts ou dommages atteignant des choses ou des travaux que le preneur d'assurance, ou une personne agissant sur son ordre, a accomplis, livrés ou fournis et dont la cause tient à la fabrication, à la livraison ou à l'exécution » (let. l).

Une telle clause est usuelle en matière d'assurance responsabilité civile d'entreprise (TF 4A_194/2014 et 4A_204/2014 du 2 septembre 2014 consid. 3.3 et les références citées ; Brehm, op. cit., 259 ; Brulhart, Le dommage assurable, in Le dommage dans tous ses états : sans le dommage corporel ni le tort moral, Colloque du droit de la responsabilité civile 2013, Université de Fribourg, p. 243 ss, spéc. 267). Elle tend à exclure du risque assuré les prétentions du lésé portant sur l'exécution même du contrat par lequel l’assuré est lié envers ce tiers (risque d'entreprise stricto sensu). L'assureur de la responsabilité civile d'entreprise ne couvre pas le risque de l'inexécution ou de la mauvaise exécution d'un tel contrat, spécialement pour les contrats de vente et d'entreprise. Les conséquences de l’inexécution contractuelle ou de l’exécution imparfaite ne sont pas assurées, pour autant toutefois que l’exécution défectueuse cause un dommage à des choses du lésé qui étaient l'objet même du contrat. En effet, restent assurés les dommages que le lésé, partenaire contractuel de l’assuré, subit lorsque l’exécution défectueuse du contrat cause un dommage aux choses du lésé qui n’étaient pas directement l’objet du contrat (TF 4A_194/2014 et 4A_204/2014 consid. 3.3 précité et les références citées ; Brehm, op. cit., n. 259 et les références citées).

En l’espèce, le contrat liant la demanderesse à E.__ portait sur la fourniture d’aiguilles médicales. Ces aiguilles, composées d'une embase et d'une canule et devant répondre à certaines exigences, notamment en matière de force de résistance, constituaient ainsi l’objet du contrat entre le lésé et l’assuré. E.__ les utilisait pour fabriquer « ZY, solution pour injection», qui est un produit pharmaceutique consistant en une seringue à usage unique, préremplie et prête à l'emploi. Le 30 avril 2009, cette société a soutenu que certains lots livrés contenaient des aiguilles défectueuses et qu’en raison du risque que cela présentait pour les utilisateurs elle avait interrompu la fabrication du produit et bloqué ses expéditions. Le dommage qu’elle a fait valoir de ce chef porte, outre sur le prix des aiguilles défectueuses livrées qui aurait déjà été remboursé par la demanderesse -, sur la dépréciation du stock de seringues « ZY, solution pour injection » assemblées avec ces aiguilles, ainsi que sur les coûts de blocage du stock. Ces seringues ne sont pas concernées par le contrat liant E.__ à la demanderesse, ni n’ont été travaillées par cette dernière. Ledit contrat a trait uniquement aux aiguilles. Ainsi, quand bien même les prétentions d’E.__ se fonderaient sur une mauvaise exécution de ce contrat, le dommage dont la réparation est demandée découle pour l’essentiel (1'723'392 € sur 1'864'207 € au total) de l’endommagement de choses du lésé qui ne constituent pas directement l’objet du contrat. Il s’ensuit que, pour ce poste de dommage à tout le moins, on n’est pas en présence d’un risque d’entreprise selon l’art. 7 let. l des conditions générales d’assurance, de sorte que l’exclusion contenue dans cette disposition n’est pas opérante.

bb) La défenderesse se prévaut ensuite de l’art. 1 let. a CGA, aux termes duquel l'atteinte à la fonctionnalité d'une chose sans qu'il y ait d'atteinte à sa substance ne constitue pas un dommage matériel assuré. Selon elle, il ressortirait du rapport d’expertise que la désolidarisation de l'embase et de la canule des aiguilles dont répond la demanderesse ne porte pas atteinte à la substance du produit d’E.__, mais seulement à sa fonctionnalité, en ce sens que ce produit peut toujours être utilisé par un remplacement de l’aiguille.

« ZY, solution pour injection » est composé d’une seringue en polypropylène, dans laquelle est inséré le principe actif du médicament, et d’une aiguille en acier, formée d'une embase et d'une canule et recouverte d’une gaine de protection, le tout étant conditionné dans une pochette plastifiée. L’embase et la canule sont assemblées par la demanderesse, alors que le système complet est assemblé par E.__. L’aiguille étant fixée sur la seringue de manière indémontable, la désolidarisation de l'embase et de la canule après leur montage occasionne bien un endommagement de « ZY, solution pour injection», qui est le produit fabriqué et vendu par E.__ selon l’autorisation de mise sur le marché. De l’avis de l’expert [...], dont la Cour ne voit aucun motif de s’écarter, cette désolidarisation modifie en effet physiquement tant le poids que l’apparence du dispositif d’injection, soit le produit pharmaceutique dans son ensemble. Autrement dit, elle modifie la substance atomique de la seringue préremplie et conditionnée dans sa pochette plastifiée, telle que la commercialise E.__. Lorsque, dans son rapport principal, l’expert écrit qu’il n’y a pas d’atteinte à la substance mais à la fonctionnalité du produit, il entend par « substance » le principe actif du médicament, soit la solution sursaturée à libération prolongée insérée dans la seringue, ainsi qu’il l’explique clairement dans son rapport complémentaire. Cette solution ne constitue cependant qu’une des composantes du produit final « ZY, solution pour injection», lequel forme un tout et, à dire d’expert, est atteint dans sa substance par une désolidarisation de l'embase et de la canule des aiguilles. Il y a donc bien une atteinte à la substance d’une chose appartenant à un tiers et, partant, un dommage matériel couvert selon les conditions générales d’assurance. Le fait que, pour des raisons évidentes de sécurité, le stock de produits défectueux a été retiré du marché avant que cette désolidarisation ne se produise concrètement n’y change rien.

C’est également en vain que la défenderesse tente de se prévaloir du fait qu’E.__ aurait détruit ce stock à titre préventif, alors qu’il aurait suffi selon elle de remplacer les aiguilles défectueuses. Dans la mesure où « ZY, solution pour injection » est un médicament totalement conditionné, un réassemblage de l’embase et la canule n’est pas envisageable selon l’expert ; si, d’un point de vue purement technique, un reconditionnement complet du produit ne semble pas impossible, il faut tenir compte des contraintes et des coûts d’un tel procédé, ainsi que des particularités du domaine pharmaceutique. Quoi qu’il en soit, la question de savoir si une réparation des seringues était possible malgré le défaut des aiguilles relève de l’étendue du dommage réparable la valeur de remplacement de la chose ne peut en principe être obtenue que si celle-ci est totalement détruite ou perdue ou que les frais de réparation sont disproportionnés (TF 4A_61/2015 du 25 juin 2005 consid. 3.1 et les références citées) -, soit du bien-fondé de la demande de réparation du lésé, et n’est nullement décisive pour déterminer la nature de l’atteinte. Dans la mesure où il est établi que la défectuosité des aiguilles dont répond la demanderesse a porté atteinte à la substance des produits d’E.__, il faut admettre un dommage matériel assuré au sens des conditions générales de la défenderesse.

c) Par surabondance, la clause de l’art. 1 CGA excluant du dommage matériel assuré l’atteinte à la seule fonction d’une chose ne serait pas opposable à la demanderesse, pour les motifs suivants.

aa) Pour être opposable à l’assuré, l’exclusion de certains événements du risque assuré doit tout d’abord satisfaire à l’exigence de clarté de l’art. 33 LCA, qui prévoit que toute clause d’exclusion doit être précise et non équivoque. En cas de doute sur le sens d’une telle clause, celle-ci doit être interprétée en défaveur de celui qui l’a rédigée, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (« in dubio contra stipulatorem » ; « Unklarheitsregel » ; ATF 122 III 118 consid. 2b ; ATF 119 II 368 consid. 4b, JdT1996 I 274). L’assureur répond alors de tous les événements qui sont en lien avec le risque assuré (Guyaz/Vautier Eigenmann, Le dommage purement économique, in Le dommage dans tous ses états : sans le dommage corporel ni le tort moral, Colloque du droit de la responsabilité civile 2013, Université de Fribourg, p. 195 ss, spéc. 233 et les références citées). La conformité d’une clause d’exclusion à l’art. 33 LCA se détermine d'après le sens généralement donné dans le langage courant aux termes utilisés. S’il ne s'agit pas de s'en tenir d'emblée à la solution la plus favorable à l'assuré, il n’en demeure pas moins qu'une telle clause doit être interprétée restrictivement (TF 5C.26/2004 du 14 avril 2004 consid. 3.1 ; ATF 118 II 342 consid. 1a, rés. in JdT 1996 I 128 ; ATF 116 II 189 consid. 2a et les références citées, JdT 1990 I 612).

La validité des conditions générales préformulées est en outre limitée par la règle dite de l’insolite (« Ungewöhnlichkeitsregel »). Selon la jurisprudence, sont ainsi soustraites de l'adhésion censée donnée globalement à des conditions générales toutes les clauses insolites, sur l’existence desquelles l'attention de la partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires n'a pas été spécialement attirée. En vertu du principe de la confiance, le rédacteur de conditions générales doit partir de l'idée qu'un partenaire contractuel inexpérimenté n'accepte pas des clauses insolites. Savoir si une clause est insolite se détermine d'après la perception de celui qui y consent, au moment de la conclusion du contrat. La règle de l'insolite ne trouve application que si, hormis la condition subjective du défaut d'expérience du domaine concerné, la clause a objectivement un contenu qui déroge à la nature de l'affaire. C'est le cas en particulier si la clause conduit à un changement essentiel du caractère du contrat ou si elle s'écarte de manière importante du cadre légal du type de contrat concerné. Plus une clause porte préjudice à la position juridique du partenaire contractuel, plus elle doit être qualifiée d'insolite (ATF 138 III 411 consid. 3.1, JdT 2014 II 459 ; TF 4A_194/2014 et 4A_204/2014 du 2 septembre 2014 consid. 3.2 ; ATF 135 III 1 consid. 2.1, JdT 2011 II 516 ; ATF 135 III 225 consid. 1.3,
JdT 2009 I 475 ; TF 5C.74/2002 du 7 mai 2002 consid. 2c ; ATF 119 II 443
consid. 1b, JdT 1994 I 712 ; ATF 109 II 452, JdT 1984 I 470).

Pour les contrats d’assurance, il faut examiner notamment les attentes légitimes relatives à la couverture d’assurance (TF 4A_186/2007 consid. 5.4.2). Sur cette base, la jurisprudence a par exemple qualifié d’insolite une clause limitant la responsabilité au motif qu’elle réduisait significativement la couverture comprise dans la dénomination du contrat, et ce, de telle manière que les risques les plus fréquents n’étaient plus couverts (TF 5C.134/2004 du 1er octobre 2004 consid. 4.2). Le caractère insolite peut en outre être admis lorsqu’une clause des conditions générales opère une inégalité de traitement sans que cela ne se justifie objectivement (TF 9C_3/2010 du 31 mars 2010 consid. 3.1, non publié aux
ATF 136 V 127 et non rés. in JdT 2010 I 324). A aussi été jugée insolite une clause réduisant de 50% les prestations en cas de maladie psychique, au motif qu’elle décevait les attentes justifiées (« berechtigte Erwartung ») de l’assuré à voir sa perte de salaire couverte de la même manière quel que soit le type de sa maladie
(ATF 138 III 411 consid. 3.5, JdT 2014 II 459). Ce critère des attentes justifiées a également amené le Tribunal fédéral à considérer comme insolite une clause excluant de la couverture d’une assurance responsabilité civile d’entreprise les prétentions de personnes louées à l’assuré par une agence de placement intérimaire (TF 4A_187/2007 du 9 mai 2008 consid. 5.4.2, rés. in JdT 2009 I 31).

bb) En l’espèce, il n’est pas établi que les parties auraient négocié ou discuté l'art. 1 let. a des conditions générale d’assurance. Aucun élément dans l'état de fait ne permet de dégager une volonté réelle de l'une ou l'autre des parties quant au contenu de cette disposition, qui doit donc être interprétée de manière objective, selon la théorie de la confiance.

Sous la rubrique « objet de l’assurance », l’art. 1 let. a CGA dispose que la responsabilité civile du preneur d’assurance est assurée notamment « en cas de dommages matériels, à savoir destruction, détérioration ou perte de choses appartenant à des tiers ». Il ajoute ensuite que « l'atteinte à la fonctionnalité d'une chose sans qu'il y ait d'atteinte à sa substance ne constitue pas un dommage matériel ». Les conditions générales d’assurance ne précisent cependant pas ce qu’il faut comprendre par une telle atteinte, ni ne donnent le moindre exemple en ce sens. La notion de « substance » d’une chose n’étant pas aisée à définir, il est déjà très douteux qu’une exclusion rédigée en ces termes respecte les exigences de clarté et de précision de l’art. 33 LCA (en ce sens : Fellmann, Substanzbeeinträchtigungs- und Funktionsbeeinträchtigungstheorie beim Sachschaden : Fata Morganen am juristischen Horizont, in Droit de la responsabilité civile et des assurances - Liber amicorum Roland Brehm, 2012, p. 133 ss, spéc. 142, cité et approuvé par Guyaz/Vautier Eigenmann, op. cit., p. 234). Quoi qu’il en soit, la définition que cette clause donne au dommage assuré présente un caractère inhabituel ou insolite.

D’une manière générale, le dommage matériel est provoqué par la destruction, la détérioration ou la perte d’une chose (Deschenaux/Tercier, La responsabilité civile, 1982, n. 20, p. 48), étant précisé que c’est la diminution du patrimoine qui en résulte qui constitue le dommage, et non l’événement considéré. Il découle tout d’abord de l’atteinte portée à la substance de la chose. La question de savoir si une atteinte à la fonction suffit est controversée (Werro, in Thévenoz/Werro (éd.), Commentaire romand CO I, n. 19 ad art. 41 CO [cité : Werro, Commentaire romand CO I]). La jurisprudence semble toutefois l’admettre, le Tribunal fédéral ayant considéré que le dommage matériel dans une assurance responsabilité civile englobe toute la perte patrimoniale résultant de l’acte de l’assuré, y compris celle découlant du fait que la chose ne peut plus être utilisée selon sa destination
(ATF 118 II 176 consid. 4b et 4c, JdT 1994 I 554). Approuvée par la doctrine (Werro, Le dommage : l’état d’une notion plurielle, in Le dommage dans tous ses états : sans le dommage corporel ni le tort moral, Colloque du droit de la responsabilité civile 2013, Université de Fribourg, p. 1 ss, spéc. 8 et les auteurs cités dans Werro, Commentaire romand CO I, op. cit., note infrapaginale n° 41 ad art. 41 CO), cette solution est d’ailleurs conforme au principe de la réparation intégrale qui s'inscrit dans la fonction indemnitaire du droit de la responsabilité civile, selon lequel le responsable est tenu de réparer l’entier du dommage matériel subi par le lésé en relation avec le fait générateur de responsabilité qui lui est imputable
(TF 4A_61/2015 du 25 juin 2015 consid. 3.1 et les références citées).

En excluant du dommage matériel celui qui découle d’une atteinte à la fonction d’une chose, l’art. 1 let a des conditions générales d’assurance s’écarte clairement de ce principe. La notion du dommage matériel s’en trouve drastiquement restreinte (Fellmann, op. cit., p. 142 ; Guyaz/Vautier Eigenmann, op. cit., p. 231), et ce, sans justification objective apparente. Certes, le droit des assurances est dicté pour l’essentiel par la liberté contractuelle, tandis que le droit de la responsabilité civile évolue selon la loi et la jurisprudence. Rien ne s’oppose donc, sur le principe, à ce que le premier appréhende la notion du dommage de manière plus étroite que le second. L’assureur doit cependant veiller à ce qu’une telle divergence reste compréhensible et prévisible pour le preneur d’assurance, sous peine de voir des clauses en ce sens qualifiées d’inhabituelles ou d’insolites (Guyaz/Vautier Eigenmann, op. cit., p. 232). Une entreprise qui, comme la demanderesse, cherche à se garantir dans son activité professionnelle contre les risques de responsabilité légale découlant de certains types de dommages doit en effet pouvoir compter sur une protection contre de tels risques. Si l’on s’en tient au cas particulier, on peut ainsi imaginer par exemple que des aiguilles comme celles que produit la demanderesse se révèlent défectueuses non pas parce qu’elles se cassent au moment de l’injection, mais parce qu’elles sont trop étroites pour faire passer librement le médicament contenu dans les seringues. Il y aurait dans ce cas une atteinte à la fonction du produit final la seringue préremplie à usage unique, conditionnée dans sa pochette plastifiée et prête à l’emploi qui, une fois assemblé de façon indémontable, ne pourrait plus être utilisé, sans toutefois que sa substance ne soit atteinte. Envers le lésé, l’assuré serait tenu de réparer le dommage qui en résulte de la même manière qu’il doit le faire lorsque c’est la force de résistance de l’aiguille qui est en cause. Le dommage est identique dans les deux cas : il correspond à la valeur de remplacement des seringues endommagées (ou à celle de réparation si celle-ci est possible), à l’éventuel gain manqué (ou à la perte éprouvée) qui en découlerait, ainsi qu’à d'autres frais en lien de causalité adéquate avec l’atteinte (Werro, Commentaire romand CO I, op. cit., n. 19 ad art. 41 CO). Lorsqu’il souscrit à une assurance responsabilité civile dans l’idée de se prémunir précisément contre le risque d’un tel dommage, l’assuré ne doit pas raisonnablement s’attendre à ce que l’assureur intervienne dans un cas, soit lorsque l’aiguille n’est pas assez résistante et se brise, et pas dans l’autre, soit lorsque l’aiguille est trop étroite et ne permet pas de faire passer le médicament. Il n’y a pour lui aucun motif objectif de faire dépendre la couverture d’assurance du type d’atteinte - à la substance ou à la fonction causée à la chose, alors que le dommage contre lequel il a voulu se protéger et qu’il devra réparer au lésé est strictement le même. Une clause excluant du dommage matériel réparable les atteintes à la seule fonctionnalité d’une chose s’écarte ainsi de la couverture à laquelle il pouvait légitimement s’attendre compte tenu du but recherché. Elle réduit considérablement la garantie d’assurance et va ainsi contre ses attentes justifiées à être couvert pour le risque assuré. Elle doit dès lors être qualifiée d’objectivement insolite.

Il n’apparaît pas que la demanderesse, qui est active dans la fabrication et le commerce d’instruments médicaux, bénéficie d’une expérience particulière dans le domaine juridique ou celui des assurances, spécialement en ce qui concerne la question de savoir quel type d’atteinte est exigé par l’assureur responsabilité civile pour que le cas soit couvert. Elle ne devait donc pas s’attendre, selon le principe de la confiance, à une clause excluant du risque assuré les atteintes à la fonction d’une chose. Partant, la clause d’exclusion litigieuse est également insolite d’un point de vue subjectif.

Il s’ensuit que la défenderesse ne pouvait pas, de bonne foi, considérer que la demanderesse aurait consenti à cette clause. Pour le surplus, comme on l'a vu, il ne ressort pas de l’état de fait, et la défenderesse ne le prétend d’ailleurs pas, que l’attention de la demanderesse aurait été spécialement attirée sur le contenu de la clause d’exclusion au moment de la conclusion du contrat. Cette clause ne serait donc de toute manière pas opposable à la demanderesse.

d) En définitive, la couverture d’assurance est donnée, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à la conclusion V et d’ordonner à la défenderesse de défendre la demanderesse contre les prétentions formulées par E.__ dans son courrier du 30 avril 2009, conformément au contrat d’assurance. E.__ n’ayant pas renouvelé sa réclamation depuis ce courrier, des démarches immédiates en ce sens ne semblent certes pas nécessaires. Mais dans la mesure où l’on ne saurait affirmer qu’elle a renoncé à ses prétentions (supra, ch. IV/b), l’obligation de défense qui incombe à l’assureur subsiste. Pour le surplus, il n’appartient pas à la Cour de céans de dire comment la défenderesse devra mettre en œuvre cette obligation compte tenu de l’ensemble des circonstances concrètes, et en particulier de l’attitude du lésé, étant précisé que la prestation de défense de l’assureur relève pour l’essentiel des règles du mandat (Brehm, op. cit., n. 412 et les références citées ; Brulhart, Droit des assurances, op. cit., n. 725) et fait l’objet en l’espèce d’une description détaillée à l’art. 22 des conditions générales d’assurance.

VI. Aux termes de l'art. 92 CPC-VD, les dépens sont alloués à la partie qui a obtenu l'adjudication de ses conclusions (al. 1); lorsque aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, le juge peut réduire les dépens ou les compenser (al. 2).

Les dépens comprennent principalement les frais de justice payés par la partie, les honoraires et les déboursés de son avocat (art. 91 let. a et c CPC-VD). Les frais de justice englobent l'émolument de justice, ainsi que les frais des mesures probatoires (art. 90 al. 1 CPC-VD; art. 2 aTFJC [tarif du 4 décembre 1984 des frais judiciaires en matière civile], applicable par renvoi de l'art. 99 al. 1 TFJC [tarif du
28 septembre 2010 des frais judiciaires civils; RSV 270.11.5]). Les honoraires et les déboursés d'avocat sont fixés conformément au tarif du 17 juin 1986 des honoraires d'avocat dus à titre de dépens (aTAV, applicable selon l'art. 404 al. 1 CPC et par renvoi de l'art. 26 al. 2 du tarif du 23 novembre 2010 des dépens en matière civile [TDC; RSV 270.11.6]).

En l’espèce, la demanderesse obtient gain de cause sur le principe de la couverture d’assurance, qui était une question centrale du litige, ainsi que sur l’obligation de défense incombant à la défenderesse ; ses conclusions VI et VII sont toutefois déclarées irrecevables en raison de leur caractère conditionnel. Il convient dès lors de lui allouer des dépens réduits d’un quart, à la charge de la défenderesse, que l’on peut d’arrêter à 58'421 fr. 75, savoir :

a)

18’000

fr.

à titre de participation aux honoraires de son conseil;

b)

900

fr.

pour les débours de celuici;

c)

39’521

fr.

70

en remboursement des 3/4 de son coupon de justice.

Par ces motifs,

la Cour civile,

statuant à huis clos,

prononce :

I. Ordre est donné à la défenderesse O.__ SA de défendre la demanderesse I.__ SA contre les prétentions formulées par E.__ dans son courrier du
30 avril 2009 adressé à la demanderesse.

II. Les conclusions VI et VII prises par la demanderesse dans sa demande du 23 mars 2010 sont irrecevables.

III. Les frais de justice sont arrêtés à 52'695 fr. 65 (cinquante-deux mille six cent nonante-cinq francs et soixante-cinq centimes) pour la demanderesse et à 19'155 fr. 25 (dix-neuf mille cent cinquante-cinq francs et vingt-cinq centimes) pour la défenderesse.

IV. La défenderesse doit verser à la demanderesse la somme de 58'421 francs 75 (cinquante-huit mille quatre cent vingt et un francs et septante-cinq centimes) à titre de dépens.

Le président : Le greffier :

F. Byrde E. Vinçani

Du

Le jugement qui précède, dont le dispositif a été communiqué aux parties le 19 janvier 2016, lu et approuvé à huis clos, est notifié, par l'envoi de photocopies, aux conseils des parties.

Les parties peuvent faire appel auprès de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal dans les trente jours dès la notification du présent jugement en déposant auprès de l'instance d'appel un appel écrit et motivé, en deux exemplaires. La décision qui fait l'objet de l'appel doit être jointe au dossier.

Le greffier :

E. Vinçani

Quelle: https://www.findinfo-tc.vd.ch/justice/findinfo-pub/internet/SimpleSearch.action

Bitte beachten Sie, dass keinen Anspruch auf Aktualität/Richtigkeit/Formatierung und/oder Vollständigkeit besteht und somit jegliche Gewährleistung entfällt. Die Original-Entscheide können Sie unter dem jeweiligen Gericht bestellen oder entnehmen.

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