Zusammenfassung des Urteils Jug/2011/64: Kantonsgericht
Die Bank W. hat eine Klage gegen N. eingereicht, der eine Immobilie an seine Ehefrau G. verkauft hat, obwohl er bereits Schulden hatte. Die Bank fordert die Rücknahme des Verkaufs und des Hypothekarkredits sowie die Zahlung von 964'214 CHF plus Zinsen. Die Ehefrau argumentiert, dass der Verkauf legal war und kein Schaden entstanden ist. Das Gericht prüft, ob der Verkauf rückgängig gemacht werden kann, da N. zum Zeitpunkt des Verkaufs bereits überschuldet war.
Kanton: | VD |
Fallnummer: | Jug/2011/64 |
Instanz: | Kantonsgericht |
Abteilung: | Zivilkammer |
Datum: | 24.02.2011 |
Rechtskraft: | - |
Leitsatz/Stichwort: | - |
Schlagwörter : | ébiteur; édule; écaire; éancier; éfenderesse; éanciers; éné; Gilliéron; écembre; Office; égal; éjudice; Comme; éance; égale; évocable; Commentaire; évocation; Peter; énéficiaire; établi; érêt; écution; également; évocatoire; Action |
Rechtsnorm: | Art. 115 SchKG;Art. 126 SchKG;Art. 142a SchKG;Art. 145 SchKG;Art. 285 SchKG;Art. 286 SchKG;Art. 287 SchKG;Art. 288 SchKG;Art. 289 SchKG;Art. 290 SchKG;Art. 291 SchKG;Art. 292 SchKG;Art. 31 SchKG;Art. 404 ZPO;Art. 859 ZGB;Art. 92 ZPO; |
Referenz BGE: | - |
Kommentar: | Staehelin, Basler Kommentar n. ad art. 287 LP. preuve indiciale est recevable Gilliéron, Art. 287, 1900 Spühler, Basler Kommentar zur ZPO, Art. 321 ZPO ; Art. 311 ZPO, 2017 |
TRIBUNAL CANTONAL | CO07.031447 34/2011/PMRBH |
COUR CIVILE
___
Audience de jugement du 24 février 2011
___
Présidence de M. Muller, président
Juges : MM. Bosshard et Hack
Greffier : M. Kramer
*****
Cause pendante entre :
W.__ | (Me C. Fischer) |
et
G.__ | (Me P. Marville) |
- Du même jour -
Délibérant immédiatement à huis clos, la Cour civile considère :
En fait:
1. La demanderesse W.__ est une banque ayant son siège à [...].
Le 21 décembre 2001, N.__ a acquis la propriété exclusive de trois parcelles de la commune d’E.__, dont il était précédemment propriétaire en commun avec S.__. Il s’agissait de la parcelle n° 270, d’une surface alors de 5'526 m2 en nature de pré-champ, de la parcelle n° 305, d’une surface de 3'653 m2, et de la parcelle n° 296, d’une surface de 1'289 m2.
2. Le 11 novembre 2005, l’Office des poursuites de l’arrondissement de Nyon-Rolle a délivré à la demanderesse un certificat d’insuffisance de gage de 25'406'422 fr. 58 dans la poursuite en réalisation de gage n° 370085-02. Cette poursuite avait été dirigée contre N.__, conjointement et solidairement avec S.__, pour un montant en capital et intérêts de 29’075’886 fr. 43, la poursuivante se prévalant d’une cédule hypothécaire au porteur d’un montant de 10'000'000 fr., grevant en premier et parité de rang les parcelles nos 1690 et 2243 de la commune de [...]. Comme la vente aux enchères de ces parcelles avait généré un produit net de 3'699'483 fr. 85, la créance demeurant impayée était de 25'406'422 fr. 58. Sur la base de ce certificat d’insuffisance de gage, la demanderesse a requis, le 6 décembre 2005, la continuation de la poursuite contre N.__. Celle-ci a été continuée, sous n° 3'082'771 de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne, qui avait reçu cette réquisition le 7 décembre 2005.
Ce même 7 décembre 2005, l’Office des poursuites de Morges-Aubonne a adressé à N.__ un avis de saisie qui lui a été notifié rue [...] [...] à [...], qui est aussi le domicile de son épouse, la défenderesse G.__, et le convoquait pour le 15 décembre 2005 dans les bureaux de l’office afin qu’il soit procédé à la saisie pour une créance de 28'018'152 fr. 10, intérêts et frais compris dans le cadre de cette poursuite. L’office a ainsi saisi l'immeuble no 270, au lieu dit "[...]" de la commune d’E.__, d’une surface totale de 2'783 m2, sur lequel sont érigés deux bâtiments, l’un de 908 m2, soit un bâtiment commercial, café et restaurant, l’autre de 11 m2, le reste étant en nature de place-jardin. Selon le procès-verbal de saisie, la saisie est intervenue le 15 décembre 2005 au bureau de l’office, en présence du débiteur N.__, puis le 29 mars 2006 à réception de la réponse de l’Office des poursuites de Moudon-Oron, ensuite d’une délégation à cet office en application des art. 89 in fine LP (loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite; RS 281.1) et 24 ORFI (ordonnance du Tribunal fédéral du 23 avril 1920 sur la réalisation forcée des immeubles; RS 281.42). L’Office des poursuites de Morges-Aubonne a estimé cette parcelle à 1'230'000 fr., d’après un rapport d’expertise et l’estimation de l’Office des poursuites de Moudon-Oron. L’expert a estimé la valeur du terrain à 120 fr. le m2. Le procès-verbal du 28 mars 2006 de la saisie opérée par l’Office des poursuites de Moudon-Oron, exécutée sur délégation de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne, mentionne au-dessus de la signature ce qui suit :
"E.__, le 23 février 2006, de 14h.00 à 14h.30 débiteur absent, puis le 10 mars 2006 de 14h.00 à 15h.30 dans l’immeuble en présence du débiteur et de M. [...], expert."
Le procès-verbal de saisie de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne, qui a été expédié le 2 mai 2006 aux parties, notamment à la demanderesse, contient à la rubrique "Observations" le texte suivant :
"Bien saisi insuffisant d’après l’estimation.
En conséquence et cf. à l’art. 115 al. 2 LP, le procès-verbal tient lieu d’acte de défaut de biens provisoire et confère au créancier les droits mentionnés aux art. 271 ch. 5 et 285 LP.
Gage immobilier :
Cédule hypothécaire au porteur de Fr. 2'000'000.00, 1er rang, intérêt max. 10 %, inscrite sous RF no [...] ( [...]).
Porteur : [...], Via [...] [...], [...] [...]. Solde redû au 31 décembre 2005 Fr. 1'178'231.65.
Avis :
L’office des poursuites de Moudon-Oron a procédé à l’annotation d’une restriction du droit d’aliéner auprès du Registre Foncier des districts de Moudon et d’Oron le 14 février 2006 sous RF no [...].
Ledit office a également adressé l’avis à l’assureur (form. 12) à l’Etablissement Cantonal d’Assurance à Pully.
L’Office des poursuites soussigné a adressé l’avis de saisie au créancier gagiste (Orfi 04) en date du 12 avril 2006.
Gérance légale :
Selon constat de l’Office des poursuites de Moudon-Oron, aucun locataire ne loue actuellement les locaux saisis. En conséquence, aucune mesure de gérance légale n’est mise en place.
Situation :
Débiteur né 31 mars 1942
Originaire de [...] / TI
Marié, n’a plus d’enfant à charge.
Courtier indépendant, déclare être actuellement sans revenu. L’entier du foyer est à charge de son épouse.
De plus, la propriété où loge le couple ainsi que l’ensemble des biens sont revendiqués par l’épouse du débiteur en vertu d’un droit de propriété."
3. Alors qu’il était informé depuis le 15 décembre 2005 en tout cas de ce qu’une procédure de saisie était en cours contre lui à l’instance de la demanderesse, N.__ a groupé à la parcelle n° 296 de la commune d'E.__ une surface de 3'759 m2 prélevée de la parcelle n° 270 – soit 3'572 m2 en nature de pré-champ et 187 m2 de bâtiment – portant la première à 5'048 m2, puis a réuni cette parcelle avec la parcelle n° 305, si bien que la nouvelle parcelle n° 296 avait une surface de 8'701 m2, dont 8'514 m2 en nature de pré-champ. La surface de la nouvelle parcelle no 270 était de 2'873 m2, portant notamment un bâtiment commercial, café et restaurant de 908 m2 et un bâtiment de 149 m2.
Ces opérations ont été effectuées selon acte notarié Q.__ du 22 décembre 2005 qui se référait à un plan de fractionnement établi le 21 juillet 2005 par le géomètre officiel [...], à [...]. Cet acte notarié mentionnait que les trois bien-fonds propriété de N.__, notamment la parcelle n° 270 d’une surface de 6'632 m2 dont 5'526 m2 en nature de pré-champ, étaient grevés collectivement d’une cédule hypothécaire au porteur en premier rang créée le 14 juillet 1965, RF no [...], ID [...], et que cette cédule, postposée à une servitude de passage, était reportée collectivement en premier rang sur les parcelles nos 296 et 270 issues du remaniement parcellaire, ce à quoi le porteur de la cédule, la Banque F.__, à […], déclarait consentir.
A cet effet, le 20 décembre 2005, cette banque avait délivré une procuration annexée à l’acte notarié de la teneur suivante :
" PROCURATION
La soussignée F.__, à […],
en sa qualité de porteur du titre suivant grevant collectivement les parcelles 270, 296 et 305 dont N.__ est propriétaire au territoire de la commune d’E.__ :
Fr. 3'000'000.-- : (trois millions de francs)
cédule hypothécaire, premier rang, intérêt maximum dix pour cent, au porteur, créée le 14 juillet 1965, RF No [...], ID. [...]
confère procuration, avec pouvoir de substitution, à Mme [...], domiciliée à [...],
aux fins de, pour elle et en son nom, procéder aux opérations suivantes :
• consentir au remaniement des trois parcelles précitées en deux biens-fonds de 2'873 m2 et 8'701 m2, respectivement, conformément au tableau de mutation et au plan de fractionnement établis le 21 juillet 2005 par le géomètre officiel [...], à [...] ;
• postposer la cédule hypothécaire RF No [...], ID. [...], à une servitude foncière nouvelle de passage à pied et pour tous véhicules constituée à charge de la nouvelle parcelle 270 et en faveur de la nouvelle parcelle 296 ;
• créer en lieu et place de la cédule hypothécaire RF No [...], ID. [...], qui sera ainsi éteinte par novation, au sens des articles huit cent cinquante-cinq et suivants du Code civil, une cédule hypothécaire au porteur du capital de deux millions de francs (Fr. 2'000'000.--) et du capital d’un million de francs (Fr. 1'000'000.--) ;
• après libération partielle, reporter la cédule hypothécaire nouvelle de deux millions de francs (Fr. 2'000'000.--) sur la parcelle nouvelle 270 uniquement, qu’elle grèvera en premier rang ;
• après libération partielle, reporter la cédule hypothécaire nouvelle d’un million de francs (Fr. 1'000'000.--) sur la parcelle nouvelle 296 uniquement, qu’elle grèvera en premier rang.
A cet effet, convenir de toutes clauses et conditions, signer tous actes et réquisitions, et généralement faire tout ce qui sera nécessaire et utile à l’accomplissement du mandat conféré."
Ce même 22 décembre 2005, toujours devant le notaire Q.__, à [...], N.__ et la Banque F.__, à […], ont passé un acte de novation par lequel, en lieu et place de la cédule hypothécaire de 3'000'000 fr., en premier rang, créée le 14 juillet 1965, grevant collectivement les parcelles nos 270 et 296 de la commune d’E.__, qui était ainsi éteinte, étaient créées deux cédules hypothécaires dont se reconnaissait débiteur N.__, l’une d’un montant en capital de 2'000'000 fr. grevant en premier rang la parcelle n° 270, d’une surface de 2'873 m2, et l’autre d’un montant en capital de 1'000'000 fr. grevant en premier rang la parcelle n° 296, d’une surface de 8'701 m2. Cet acte contenait la stipulation suivante :
" N.__ donne mandat au notaire de remettre les titres nouveaux de deux millions de francs (Fr. 2'000'000.--) et d’un million de francs (Fr. 1'000'000.--) à la Banque F.__, à […], dès leur retrait du registre foncier, en garantie du prêt qui lui est accordé par ledit Etablissement, étant précisé que ces titres seront remis au dit Etablissement en vertu d’un contrat de prêt préexistant, lequel n’est pas éteint par novation par la signature du présent acte."
4. Le 10 janvier 2006, N.__ a vendu à son épouse, la défenderesse G.__, cette nouvelle parcelle n° 296, selon acte notarié Q.__ qui mentionnait à l’état des droits et des charges une seule cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr., premier rang, intérêt maximum 10 %, créée le 23 décembre 2005, ID. [...]. Cet acte contenait en particulier les stipulations suivantes :
" 7. La cédule hypothécaire désignée ci-dessus est cédée en cet instant à l’acheteuse libre de tous droits à l’égard de tiers ; celle-ci est dès ce jour seule débitrice et porteur de dite cédule, à l’entière décharge du vendeur et peut en conséquence en disposer librement dès ce jour, à titre de cédule hypothécaire du propriétaire.
8. Le prix de vente est fixé pour toutes choses à
NEUF CENT SOIXANTE-QUATRE MILLE DEUX CENT QUATORZE FRANCS
(Fr. 964'214.--),
sans aucune autre prestation.
Il est payé entièrement en cet instant par compensation avec une créance de ce montant due par le vendeur à l’acheteuse en vertu d’une avance du vingt-sept septembre deux mille deux. Le vendeur donne ici quittance à l’acheteuse de l’entier du prix de vente."
La défenderesse a été inscrite au Registre foncier le 12 janvier 2006 comme unique propriétaire de la parcelle n° 296 de la commune d’E.__. Cette parcelle ne faisait pas l’objet d’une saisie.
5. Le 28 mars 2006, la demanderesse a adressé à N.__ la lettre suivante :
"Parcelles Nos 296 et 305 de la commune d’E.__
Monsieur,
Dans le cadre de la procédure que nous avons introduite à votre encontre, l’Office des poursuites de Moudon-Oron nous informe que les parcelles désignées en titre ont été regroupées sous la parcelle No 296 et transférées à Mme G.__ le 12 janvier dernier.
Au vu de ce qui précède, nous vous saurions gré de bien vouloir nous faire parvenir une copie de l’acte notarié y relatif portant le No [...] au Registre foncier de Moudon-Oron, au moyen de l’enveloppe réponse annexée.
D’avance nous vous en remercions et vous prions d’agréer, Monsieur, nos salutations distinguées."
N.__ a alors transmis à la demanderesse l’acte instrumenté le 10 janvier 2006 relatif à la vente à la défenderesse de la parcelle n° 296 de la commune d’E.__. La demanderesse ne l’a pas reçu par un autre canal.
6. D’après un arrêt du Tribunal administratif du 16 novembre 2006, la parcelle n° 296 d’E.__, colloquée en zone dite de "[...]", est destinée aux loisirs et à la détente et, sans être inconstructible, elle ne peut être affectée exclusivement à l’habitation. Dans cette procédure de droit administratif, la défenderesse était assistée d’un spécialiste de droit public de la construction.
7. Le 22 octobre 2007, la demanderesse a ouvert la présente action révocatoire et formé une requête de mesures préprovisionnelles et provisionnelles. Auparavant, notamment le 22 décembre 2005 ou dans les semaines précédentes, la demanderesse n’avait pas requis l’annotation d’une restriction du droit d’aliéner pour les biens dont N.__ était propriétaire sur le territoire de la commune d’E.__.
A la date du 16 novembre 2007, N.__ faisait l’objet de poursuites de la part de la demanderesse pour un montant en capital de 25'406'422 fr. 58 (poursuite n° 3’082'771 de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne susmentionnée), de la part de [...] SA pour un montant en capital de 2'173 fr. (poursuite n° 3'122'483) et de la part de [...] pour un montant en capital de 23'599 fr. 80 (poursuite n° 3'146'300). Trois actes de défaut de biens en cours étaient également délivrés contre lui; le premier, du 9 juin 2006, était en faveur de la Banque Z.___ pour 2'873'474 fr. 45 (n° 3'074'027), le deuxième, du 29 juin 2007, en faveur de [...] AG pour un montant de 500'339 fr. 70 (n° 3'132'810) et le troisième, du 29 juin 2007 également, en faveur également de [...] AG pour un montant de 180'339 fr. 70 (n° 3'132'809).
8. Le 18 décembre 2007, la Banque F.___ a adressé à la défenderesse la lettre suivante :
" G.__
A votre demande, nous confirmons être en possession des deux cédules hypothécaires au nominal, l’une de deux millions de francs grevant la parcelle 270 folio 1 sur la commune d’E.__ et l’autre d’un million de francs grevant la parcelle 296 folio 1 sur la même commune.
Affectées dans un premier temps de manière globale en garantie des engagements ouverts auprès de notre établissement bancaire, ces cédules hypothécaires sont en notre possession depuis le 16 janvier 2006 s’agissant de la première d’entre elles, et depuis le 20 juin 2006 s’agissant de la seconde.
Cette différence de date de transmission, à chaque reprise directement par Me Q.__, notaire à [...], est due au fait que nous avons dû réclamer la transmission de la seconde cédule à l’officier public.
La cédule hypothécaire d’un million de francs a été affectée spécifiquement ensuite, le 11 mai 2006, à la garantie d’un prêt ouvert au nom de G.__."
Effectivement, la Banque F.___ avait confirmé à la défenderesse le 22 février 2006 un prêt hypothécaire de 1'300'000 fr., notamment contre remise en garantie de la cédule hypothécaire d’un million de francs grevant en premier rang la parcelle n° 296 de la commune d’E.__. Ce crédit hypothécaire accordé à la défenderesse pour le financement d’une maison d'habitation au lieu-dit [...]", à [...], avait été augmenté de 850'000 fr. à 1'300'000 fr. par lettre du 3 septembre 2003, moyennant remise d’une cédule hypothécaire de 1'300'000 fr. grevant en premier rang la parcelle n° 126 de la commune de [...], au lieu-dit " [...]" ainsi que par le nantissement de tous les avoirs de la défenderesse sous portefeuille no [...] auprès de la Banque F.__.
Depuis le 5 décembre 2007, la parcelle n° 126 de la commune de [...], au lieu-dit "[...]", est propriété de [...]. Selon un courrier du 28 janvier 2009 de la Banque F.___ au Juge instructeur de la Cour civile, le crédit hypothécaire correspondant a été remboursé le 3 décembre 2007, valeur au 30 novembre 2007.
9. Le 21 janvier 2008, l’Office des poursuites de Morges-Aubonne a délivré à la demanderesse un acte de défaut de biens définitif, après saisie, d’un montant de 33'342'063 fr. 78 dans la poursuite n° 3'082'771 diligentée contre N.__, à [...]. Il est inscrit sur cet acte qu’il a tous les effets prévus par l’art. 149 LP.
Le 18 novembre 2008, la Banque F.___ a adressé au Juge instructeur de la Cour civile la lettre suivante (réd. : trad.) :
"Nous revenons à notre réponse du 24 octobre 2008 dans l’affaire mentionnée en titre.
Malheureusement, nous ne vous avons par erreur pas envoyé dans notre premier courrier le contrat de nantissement général du 17 avril 2006 par lequel Mme G.__ mettait en gage la totalité de son dossier No [...] en faveur du dossier d’une tierce personne. Dans ce dossier était aussi comptabilisée la cédule hypothécaire du 23 décembre 2005 sur la parcelle 296 d’E.__ (cédule hypothécaire au porteur No [...]), qui était aussi mise en gage commun. Nous nous excusons comme il se doit auprès de vous de cette omission.
Nous vous faisons parvenir après coup, comme annexe au présent courrier et pour compléter votre dossier, une copie (anonymisée) de ce contrat de nantissement général du 17 avril 2006.
Simultanément, nous vous faisons part de ce que les indications du chiffre deux de notre lettre du 24 octobre 2008 nécessitent une rectification dans la mesure où la cédule hypothécaire au porteur en question a été aussi mise en gage en faveur de F.__ pour le dépôt d’une tierce personne en raison de l’existence du contrat de nantissement général.
Nous espérons que ces indications vous seront utiles (…)."
A cette lettre était jointe la copie d’un document intitulé "Allgemeiner Pfandvertrag" (contrat de nantissement général) signé le 17 avril 2006 par la défenderesse, mais ne portant ni l’indication du nom du débiteur dont les engagements seraient garantis ni la signature de F.__.
10. Par demande du 22 octobre 2007, la demanderesse W.__ a conclu, avec suite de frais et dépens, à ce que, principalement, le paiement par compensation du prix de vente de la parcelle no 296 de la commune d’E.__ fixé à 964'214 fr., selon acte de vente conclu en la forme authentique le 10 janvier 2006 entre N.__ comme vendeur et la défenderesse G.___ comme acheteur est révoqué (I), que la cession et le transfert par N.__ à G.__ de la propriété de la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr., premier rang, intérêt maximum 10 %, ID [...], créée le 23 décembre 2005 et grevant la parcelle n° 296 de la commune d’E.__ sont révoqués (II), au paiement par la défenderesse G.___ de la somme de 964'214 fr. plus intérêt à 5 % l’an dès le 10 janvier 2006 (III), subsidiairement, que le transfert sans contrepartie en numéraire ou valeurs usuelles de la parcelle n° 296 d’E.__ par N.__ à G.__ selon acte de vente du 10 janvier 2006 est révoqué (IV), que l’immeuble parcelle n° 296 de la commune d’E.__ est saisissable et doit être saisi au préjudice de N.__ dans le cadre de toute poursuite que la demanderesse exerce – soit exercera – contre lui sur la base de l’acte de défaut de biens qui lui a été délivré dans la poursuite n° 3’082'771 de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne (V), que la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr., premier rang, intérêt maximum 10 %, ID [...] est saisissable et doit être saisie au préjudice de N.__ dans le cadre de toute poursuite qu’elle exerce – soit exercera – contre lui sur la base de l’acte de défaut de biens qui lui a été délivré dans la poursuite n° 3’082'771 de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne (VI), que, faute pour la défenderesse de remettre à l’Office des poursuites procédant aux saisies selon les chiffres V et VI ci-dessus, la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr., premier rang, intérêt maximum 10 %, [...], libre de tous engagements, la défenderesse versera auprès dudit office, pour être saisie au préjudice de N.__, en lieu et place de la prédite cédule, la somme de 1'000'000 fr. en capital et 300'000 fr. à titre d’intérêts.
Dans sa réponse du 13 mars 2008, la défenderesse a conclu, sous suite de frais et dépens, principalement au rejet des conclusions de la demande, subsidiairement, à ce qu’elle participe, cas échéant avec reconnaissance de son privilège, ex lege à la réalisation à intervenir dans le cadre de la poursuite diligentée par la demanderesse à l’encontre de N.__ sous no 3'082'771 de l’Office des poursuites de Morges-Aubonne, à concurrence de 964'214 fr. avec intérêt à 5 % l’an dès le 10 janvier 2006 au moins.
Par réplique du 20 mai 2008, la demanderesse a confirmé les conclusions de sa demande et a conclu, avec suite de frais et dépens, au rejet des conclusions tant subsidiaires que principales de la défenderesse.
En droit:
I. La demanderesse exerce l’action révocatoire des art. 285 ss LP. Elle conclut principalement à la révocation du paiement par compensation opéré par la défenderesse pour l’achat à son mari de la parcelle no 296 de la commune d’E.__, à la révocation de la cession et du transfert de la cédule hypothécaire grevant cette parcelle et au paiement par la défenderesse de la somme de 964'214 fr. plus intérêt à 5 % l’an dès le 10 janvier 2006, subsidiairement à la révocation du transfert de cette parcelle, à ce qu’il soit constaté que cette dernière est saisissable dans les poursuites engagées contre le mari de la défenderesse, de même que la cédule hypothécaire la grevant, et, à défaut de saisissabilité de cette cédule, au versement par la défenderesse à l’Office des poursuites de la somme de 1'000'000 fr. en capital et 300'000 fr. d’intérêts.
La défenderesse soutient de son côté que la révocation ne pourrait être dirigée contre le paiement par compensation, qu’il n’est pas concevable de révoquer un acte opéré après la saisie, que la demanderesse ne pourrait prendre des conclusions en paiement contre elle, que la Cour civile ne pourrait constater le caractère saisissable de la parcelle litigieuse et de la cédule hypothécaire qui la grève et que la compensation est un moyen légal d’extinction des créances, de sorte que la révocation du transfert de la propriété de la parcelle ne pourrait avoir lieu. Enfin, elle prétend que la demanderesse n’aurait subi aucun préjudice en raison des actes dont la révocation est demandée.
II. a) L’action révocatoire a pour but de soumettre à l’exécution forcée des biens qui ont été soustraits par suite d’un des actes mentionnés aux art. 286 à 288 LP. En d’autres termes, il s’agit de rétablir la mainmise des créanciers sur des biens dont le débiteur a disposé avant la saisie ou l’ouverture de la faillite dans des circonstances jugées suspectes (Erard-Gillioz, La révocation, FJS n° 742, p. 2) et de rétablir ainsi la fortune du poursuivi telle qu’elle existait avant l’acte révocable (Peter, Commentaire romand, n. 9 ad art. 285 LP; ATF 132 III 489 c. 3.4, JT 2007 II 81; ATF 98 III 44 c. 3, JT 1974 II 18) dans la mesure des pertes prévisibles ou subies, comme si le débiteur ne s’en était pas dessaisi (art. 285 al. 1 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite [ci-après : Gilliéron, Commentaire], n. 9 ad art. 285 LP).
L’existence de l’obligation révocatoire est subordonnée à deux conditions : il faut que le débiteur ait accompli un acte révocable au sens des art. 286 à 288 LP et que cet acte ait causé un préjudice à un ou plusieurs créanciers, préjudice consistant en ce que le patrimoine du débiteur n’a pas suffi ou ne suffit pas, à l’occasion d’une exécution forcée, à désintéresser son ou ses créanciers (Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 4ème éd. [ci-après : Gilliéron, Poursuite], n. 2877, p. 441). Le principe d’équité sous-jacent à cette norme est qu’il est inacceptable que, au détriment des autres créanciers, un débiteur déjà surendetté privilégie un créancier de sorte que celui-ci soit mieux – ou intégralement – couvert. La ratio legis est donc d’assurer que les différents créanciers d’un débiteur surendetté soient traités sur un pied d’égalité (Peter, op. cit., n. 1 ad art. 287 LP). Selon la jurisprudence, l’action révocatoire est par nature une action du droit des poursuites avec effet réflexe sur le droit matériel (ATF 114 III 110 c. 3d, JT 1991 II 88). L’obligation révocatoire et l’action qui arme cette obligation légale sont donc étroitement imbriquées dans la procédure d’exécution forcée, qui les conditionne entièrement (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 13 ad art. 289 LP).
L’action révocatoire ne peut être ouverte que par le porteur d’un acte de défaut de biens provisoire ou définitif après saisie (art. 285 al. 2 ch. 1 LP), par l’administration de la faillite ou par un cessionnaire des droits de la masse (art. 285 al. 2 ch. 2 LP). Elle est intentée, notamment, contre les personnes qui ont traité avec le débiteur ou bénéficié d’avantages de sa part et contre les tiers de mauvaise foi (art. 290 LP). En revanche, le débiteur n’est pas partie au procès (Peter, op. cit., n. 2 ad art. 290 LP).
Le for de l’action, réglé à l’art. 289 LP, est fixé au domicile du défendeur, bénéficiaire de l’acte révocable ou, si le défendeur n’a pas de domicile en Suisse, au for de la saisie ou de la faillite (Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 2947, p. 451).
La compétence de l’autorité judiciaire est fonction de la valeur litigieuse, qui, hors de la faillite et du concordat par abandon d’actifs, est égale au montant de la créance mentionnée dans l’acte de défaut de biens ou à la valeur des biens soustraits si celle-ci est inférieure au montant de la créance (Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 2950, p. 452 ; Peter, op. cit., n. 15 ad art. 289 LP). N’étant pas soumise par le droit fédéral à une procédure spéciale, l’action révocatoire suit les règles de compétence cantonales ordinaires (art. 42a LVLP [loi d’application dans le canton de Vaud de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 18 mai 1955; RSV 280.05], dans sa teneur en vigueur avant le 1er janvier 2011, applicable en l'espèce où le procès a été ouvert avant cette date; art. 404 CPC [Code de procédure civile du 19 décembre 2008; RS 272]).
L’action se périme par deux ans à compter de l’ouverture de la faillite ou de la notification de l’acte de défaut de biens après saisie (art. 292 LP).
b) En l’espèce, l’action ouverte par la demanderesse, selon demande du 22 octobre 2007, l’a été valablement au regard de ces dispositions.
La demanderesse, porteuse d’un acte de défaut de biens provisoire au moment du dépôt de la demande, délivré avec le procès-verbal de saisie expédié aux parties le 2 mai 2006, a la légitimation active. La défenderesse, bénéficiaire de l’acte dont la révocation est demandée, a la légitimation passive. La défenderesse, domiciliée à [...], a son domicile dans le canton de Vaud et la valeur litigieuse est supérieure à 100'000 fr., si bien que la Cour civile est compétente. Enfin, l’action a été ouverte le 22 octobre 2007, moins de deux ans après la notification de l’acte de défaut de biens, de sorte que l’action n’est pas périmée.
III. a) La loi distingue trois sortes d’opérations attaquables par la voie de l’action révocatoire : les libéralités (art. 286 LP), les actes commis par le débiteur surendetté dans l’année qui précède la saisie ou l’ouverture de la faillite (art. 287 LP) et les actes dolosifs commis dans les cinq ans précédant la saisie ou la déclaration de faillite (art. 288 LP), cette dernière catégorie étant la lex generalis en matière d’action révocatoire (Peter, op. cit., n. 5 ad art. 288 LP). Dans tous les cas, l’acte dont la révocation est demandée doit constituer une démarche volontaire du débiteur et ne saurait résulter d’une obligation légale (ATF 42 III 489, JT 1917 I 362).
En l’occurrence, la demanderesse invoque un acte de la deuxième catégorie, savoir un acte visé par l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP. Elle se prévaut subsidiairement de l’art. 288 LP. Il convient dès lors d’examiner les conditions d’application de ces deux dispositions dans le cas d’espèce.
b) Selon l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP, est révocable tout paiement opéré autrement qu’en numéraire ou valeurs usuelles, lorsqu’il a été accompli par un débiteur surendetté dans l’année qui précède la saisie ou l’ouverture de la faillite, la révocation étant cependant exclue lorsque celui qui a profité de l’acte établit qu’il ne connaissait pas ni ne devait connaître le surendettement du débiteur.
Pour qu’un acte soit révocable au sens de l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP, il faut que les conditions objectives suivantes soient réalisées : le surendettement du débiteur (i), la survenance de l’acte considéré pendant la période suspecte d’un an (ii) et un préjudice en lien de causalité avec l’acte (iii) (Peter, op. cit., n. 2 ad art. 287 LP). Il faut aussi que la condition subjective de la mauvaise foi du tiers (iv) soit remplie (art. 287 al. 2 LP). Les trois conditions objectives et la condition subjective sont cumulatives. Lorsque les quatre conditions sont réalisées, il n’y a pas lieu de prouver que l’auteur de l’acte révocable a agi dans le dessein de porter préjudice à ses créanciers (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 11 ad art. 287 LP).
i) L’acte n’est révocable que s’il implique le débiteur et que celui-ci soit surendetté au moment où il a opéré le paiement autrement qu’en numéraire ou valeurs usuelles.
Par surendettement, il faut entendre la situation du prétendu débiteur en-dessous de ses affaires, celui dont le passif dépasse l’actif (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 12 ad art. 287 LP). L’état de surendettement doit exister au moment de l’accomplissement de l’acte révocable (Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 2895, p. 444; Peter, op. cit., n. 15 ad art. 287 LP; Schüpbach, Droit et action révocatoires, Commentaire des articles 285 à 292 de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 modifiée le 16 décembre 1994, n. 111 ad art. 287 LP; ATF 25 II 658 c. 1 ad c). Pour établir s’il y a surendettement au moment critique, il faut dresser un bilan, c’est-à-dire un état de l’actif et du passif, et tenir compte dans le passif de toutes les dettes qui font ou peuvent faire l’objet d’une poursuite individuelle et spéciale ou d’une production dans une procédure collective de liquidation générale, c’est-à-dire le passif réel, effectif, à l’exclusion des comptes de capital et de réserves (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 12 ad art. 287 LP). Le passif comprend non seulement les dettes exigibles, mais aussi les dettes non encore exigibles (Staehelin, Basler Kommentar, n. 17 ad art. 287 LP). La preuve indiciale est recevable (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 12 in fine ad art. 287 LP; ATF 23 II 1197 c. 3, JT 1897 I 625). La révocation n’est cependant pas subordonnée à la conscience que le débiteur a ou devrait avoir de la situation (Schüpbach, op. cit., n. 114 ad art. 287 LP).
En l’espèce, il est établi qu’au moment de la vente, N.__ faisait l’objet de plusieurs poursuites, notamment de la part de la Banque Z.___ qui a abouti à la délivrance d’un acte de défaut de biens d’un montant de 2'873'474 fr. 45 moins de six mois après la vente, et de la part de la demanderesse qui avait abouti moins de deux mois auparavant à la délivrance d’un certificat d’insuffisance de gage pour un montant en capital dépassant 25'000'000 francs. La première condition de l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP est ainsi manifestement remplie.
ii) Il faut ensuite que l’acte révocable ait été accompli par le débiteur dans l’année qui précède la saisie ou l’ouverture de la faillite.
Le délai rétrograde annal – comme celui quinquennal de l’art. 288 LP – est calculé, conformément à l’art. 31 al. 2 LP, rétrospectivement dès l’exécution de la saisie infructueuse, la déclaration de faillite ou l’octroi d’un sursis concordataire (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 14 in initio ad art. 287 LP). La saisie est un acte relativement ponctuel. Son point d’accomplissement n’est pas évident pour autant. L’indisponibilité prend effet au moment où le fonctionnaire désigne les biens, si bien que la doctrine considère que c’est ce moment-là, et non la signification du procès-verbal, qui est le point déterminant comme initium du délai rétrograde (Schüpbach, op. cit., n. 133 ad art. 286 LP). L’élément constitutif de la saisie est la déclaration du préposé aux poursuites au débiteur que celui-ci doit s’abstenir, sous les peines de droit, de disposer des valeurs patrimoniales mises sous main de justice sans une décision l’y autorisant. Aussi longtemps que le débiteur poursuivi n’a pas été averti expressément de cette obligation légale d’abstention, la saisie ne sortit pas d’effets et n’est pas valablement exécutée (ATF 112 III 114 c. 3, JT 1988 II 136).
En l’espèce, le procès-verbal de saisie a été expédié aux parties le 2 mai 2006; il est vrai qu’un premier rendez-vous a été fixé le 15 décembre 2005 à l’Office des poursuites de Morges-Aubonne, mais en tout cas pour les biens situés hors de l’arrondissement de poursuites, l’exécution de la saisie a été déléguée à l’Office des poursuites de Moudon-Oron qui a procédé à la saisie des biens immobiliers situés à E.__ au mois de mars 2006 seulement. En outre, il n’est pas établi que le débiteur aurait été averti expressément lors de ce premier rendez-vous à l’Office des poursuites de Morges-Aubonne de son obligation légale d’abstention. La vente litigieuse étant intervenue le 10 janvier 2006, elle se situe manifestement durant la période suspecte d’un an avant l’exécution de la saisie infructueuse et non après la saisie, comme le soutient la défenderesse. Du reste, si la saisie avait eu lieu au mois de décembre 2005, N.__ n’aurait pas pu disposer du bien-fonds vendu à sa femme.
iii) Il faut encore que l’acte dont la révocation est demandée ait causé un préjudice à un ou plusieurs créanciers.
Il existe un préjudice chaque fois que l’acte incriminé aggrave, d’une quelconque manière, la position des créanciers dans l’exécution forcée, en diminuant l’actif exécutable, en augmentant le passif participant à l’exécution ou en péjorant l’exécution comme telle, notamment en avantageant certains créanciers au détriment des autres (ATF 101 III 92 c. 4a, JT 1976 II 109; ATF 99 III 27 c. 3, JT 1975 II 52; Gilliéron, Poursuite, op. cit., nn. 2908 ss, p. 446; Gilliéron, Commentaire, op. cit., nn. 21 ss ad art. 288 LP). En principe, il n’y a pas de préjudice pour les créanciers si l’acte juridique du débiteur consiste en une opération juridique qui lui procure, en échange de sa prestation, une contre-prestation équivalente. Toutefois, il y a aussi préjudice pour les créanciers, nonobstant l’échange de prestations de même valeur, lorsque le débiteur a eu pour but de disposer de ses derniers actifs au détriment de ses créanciers et que son cocontractant a connu ce fait ou aurait dû le connaître en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances (ATF 130 III 235 c. 2.1.2 et les références citées, JT 2005 II 8). En revanche, si, en contrepartie d’éléments de son patrimoine aliénés, le débiteur n’acquiert qu’une créance, ou dispose d’une somme d’argent ou d’autres valeurs aux fins d’acquitter une dette, il n’obtient pas en échange de sa prestation une contre-prestation qui exclurait d’emblée tout préjudice pour les créanciers. Si le débiteur se trouve déjà dans une situation difficile, le paiement d’une dette, même exigible, cause en règle générale un préjudice aux autres créanciers. Pour que le paiement entraîne un préjudice, il faut qu’il soit prouvé que, s’il n’avait pas eu lieu, les sommes reçues par le bénéficiaire se seraient retrouvées dans la masse – respectivement auraient été saisies – et auraient été réparties entre les créanciers (TF 5A_559/2007 du 16 avril 2008, SJ 2009 I 249).
Selon l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP, est révocable tout paiement opéré autrement qu’en numéraire ou en valeurs usuelles. Constituent des paiements en numéraire ceux qui sont effectués en argent comptant, c’est-à-dire en monnaie du pays au sens de l’art. 84 CO (loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse; RS 220). Constituent des paiements en valeurs usuelles les prestations qui sont faites sous des formes qui sont habituellement considérées comme équivalentes à de l’argent comptant, par exemple les paiements par chèques, virement bancaire, carte de crédit ou moyen électronique. Est également usuel tout paiement qui correspond aux usages du lieu ou à la catégorie de commerçants concernés par l’acte litigieux. Le caractère usuel ou non est fonction du temps, du lieu, du genre d’affaires et des personnes impliquées. C’est une question de droit dont la solution dépend de faits et d’habitudes qui peuvent être établis par expertise (Schüpbach, op. cit., nn. 52 ss ad art. 287 LP). En revanche, tout acte exceptionnel d’aliénation de la part du débiteur, qui ne s’explique pas par des relations d’affaires normales entre parties, est révocable. Il faut entendre par là une datio in solutum – mode d’extinction d’une obligation dans lequel le débiteur se libère en fournissant au créancier, du consentement de celui-ci, une prestation différente de celle qui était primitivement convenue – ou une datio solutionis causa – où le débiteur se libère par un paiement à un tiers désigné par le créancier (Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 2900, p. 444). Il peut également s’agir de la cession d’une créance ou de la reprise d’une dette d’un créancier pour permettre à celui-ci de compenser la créance avec la dette reprise (Stoffel/Chabloz, Voies d’exécution, Poursuite pour dettes, exécution de jugements et faillite en droit suisse, 2ème éd., § 7 n. 28, p. 214). Alors que la cession de créance en vue de paiement n’est en général pas considérée comme un mode de paiement usuel, la jurisprudence a reconnu que, dans la pratique bancaire, ce mode de paiement peut désormais être admis comme étant usuel (Peter, op. cit., n. 10 ad art. 287 LP). A l’inverse, la jurisprudence a retenu que l’entrepreneur construisant sur son propre terrain n’use pas d’un mode habituel de paiement en réglant des fournisseurs par transfert du fonds et d’une cédule hypothécaire à son nom, qui le grève (Schüpbach, op. cit., n. 55 ad art. 287 LP; ATF 74 III 56, JT 1949 II 53).
En l’espèce, l’acte dont la révocation est demandée, savoir le paiement effectué par la remise du bien-fonds n° 296 de la commune d’E.__ est bien un acte volontaire de N.__. Le transfert de la propriété de cette parcelle à la défenderesse constitue dès lors effectivement un acte du débiteur au sens de l'art. 287 al. 1 ch. 2 LP.
L’opération visait le remboursement d’une dette à l’égard de son épouse. L’acte litigieux a ainsi eu pour conséquence de soustraire aux créanciers poursuivants et saisissants ce qui a été vendu, savoir ce bien-fonds. Le fait d’avoir vendu ce terrain et éteint sa dette par compensation avec le prix de vente n’est pas un mode de paiement usuel entre particuliers. Du reste, il est apparu au cours de la procédure de saisie que les biens saisis ne suffiraient – largement – pas à désintéresser les créanciers saisissants. La défenderesse aurait ainsi – pour autant que sa créance née pendant le mariage existât et fût exigible (Tschumy, Les contributions d’entretien et l’exécution forcée. Deux cas d’application, l’avis au débiteur et la participation privilégiée à la saisie, in JT 2006 II 17 ss, p. 35; ATF 107 III 15 c. 2, JT 1983 II 2) – pu participer à la série des créanciers saisissants, mais elle n’aurait certainement pas été payée pour la totalité de sa créance et aurait dû partager le produit de la vente de la parcelle saisie avec les autres créanciers, notamment la demanderesse. L’existence d’un préjudice en relation de causalité avec l’acte dont la demanderesse revendique la révocation est ainsi établie.
iv) Il reste encore à examiner si la condition subjective de la mauvaise foi du tiers – soit de la défenderesse – est réalisée.
La preuve de l’ignorance non fautive du surendettement du débiteur par le bénéficiaire de l’acte litigieux ne supprime pas le caractère préjudiciable de l’acte, mais, accompli de bonne foi, celui-ci n’est pas révocable. La loi présume que le bénéficiaire de l’acte connaissait la situation de surendettement du débiteur et donc le dommage que l’opération causerait aux autres créanciers, car les actes énumérés à l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP ne sont pas conformes aux usages et ne peuvent qu’éveiller des soupçons. Pour prouver sa bonne foi, le créancier privilégié doit non seulement démontrer qu’il ignorait la situation de surendettement du débiteur, mais également qu’il ne pouvait la connaître (Peter, op. cit., n. 18 ad art. 287 LP; Schüpbach, op. cit., n. 118 ad art. 287 LP; Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 2902, p. 445). Le juge doit se montrer exigeant quant à la preuve de l’ignorance du surendettement par laquelle le bénéficiaire de l’acte révocable tente d’échapper à la révocation (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 15 ad art. 287 LP; JT 1927 II 116 c. 1 non publié in ATF 53 III 78; ATF 34 II 71 c. 7, JT 1909 I 41). Cependant, comme il s’agit de la preuve d’un fait négatif, pour que cette preuve soit considérée comme rapportée, il suffit que les faits établis par le bénéficiaire de l’acte révocable permettent au juge de considérer comme très vraisemblable qu’il n’a pas été ou n’aurait pas dû être exactement au courant de la situation de son débiteur (Gilliéron, Comentaire, op. cit., n. 15 ad art. 287 LP et les références citées). Il sera tenu compte de l’expérience en affaires du bénéficiaire de l’acte révocable et des indices d’insolvabilité qui devaient conduire le bénéficiaire à s’interroger sur la situation financière de l’auteur (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 15 ad art. 287 LP; ATF 37 II 113 c. 3, JT 1912 I 207). Ainsi, par exemple, tout banquier est censé être attentif aux symptômes de surendettement d’un commerçant auquel il a ouvert un crédit (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 15 ad art. 287 LP et les références citées). De même, la proche parenté constitue une présomption que le bénéficiaire était au courant de la situation du débiteur (ATF 37 II 113 précité c. 3 in medio, JT 1912 I 207 et la référence citée).
En l’espèce, la défenderesse est l’épouse du débiteur; elle vit à la même adresse que lui, qui faisait l’objet de nombreuses poursuites pour des montants considérables. En outre, selon le procès-verbal de saisie, N.__, sans revenu, était alors à la charge de son épouse. Celle-ci ne pouvait dès lors ignorer sa situation. La défenderesse n’a ainsi pas apporté la preuve qu’elle ne connaissait pas ni ne devait connaître le surendettement de son mari. Du reste, elle ne le soutient pas vraiment.
c) Toutes les conditions de l’action révocatoire fondée sur l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP sont ainsi réunies et la demanderesse est dès lors fondée à faire valoir ses prétentions révocatoires.
IV. a) De surcroît, l’acte litigieux peut également tomber sous le coup de l’art. 288 LP.
En vertu de l’art. 288 LP, sont révocables tous actes faits par le débiteur dans les cinq ans qui précédent la saisie ou la déclaration de faillite dans l’intention reconnaissable pour l’autre partie de porter préjudice à ses créanciers ou de favoriser certains créanciers au détriment des autres.
b) La révocation au sens de l’art. 288 LP dépend, outre des conditions générales posées à l’art. 285 LP – soit que l’acte a été accompli par le débiteur, qu’un ou plusieurs créanciers ont subi un dommage, que l’acte a été propre à causer ce préjudice et que la poursuite a été infructueuse – dont on a vu qu’elles sont remplies en l’espèce, de la réunion de trois conditions spécifiques : la première, objective, est que l’acte doit avoir été accompli dans les cinq ans qui précède la saisie ou la déclaration de faillite, la deuxième, subjective, est que le débiteur doit avoir agi intentionnellement et la troisième, subjective également, est que le cocontractant doit avoir connu – ou dû connaître – cette intention du débiteur (Peter, op. cit., n. 2 ad art. 288 LP).
Contrairement à l’art. 287 al. 1 ch. 2 LP, le surendettement du débiteur n’est pas une condition d’application de l’art. 288 LP. La révocation peut en effet être justifiée lorsque l’acte a été accompli au moment où la débâcle a commencé à être menaçante, même s’il s’agit d’un acte visé par l’art. 287 LP (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 13 ad art. 288 LP et les références citées ; Schüpbach, op. cit., n. 89 ad art. 288 LP).
i) La période suspecte, de cinq ans, est plus longue que dans les cas des art. 286 et 287 LP, car il s’agit de révoquer des actes juridiques du débiteur dont il est reconnu que, dès le départ, ils ont été faits dans l’intention de léser les créanciers (Erard-Gillioz, op. cit., p. 14).
En l’espèce, le critère temporel, et donc objectif, de l’art. 288 LP est réalisé. En effet, l’acte litigieux dont la révocation est demandée a eu lieu dans l’année qui précède la saisie, comme on l’a vu plus haut (cf. c. III.b)ii)), soit largement dans la période dite suspecte qui a précédé la saisie. A cet égard, les considérations qui ont conduit à ne pas retenir l’argument selon lequel l’acte dont la révocation est demandée aurait eu lieu après la saisie doivent être reprises ici. La saisie des parcelles dont l’exécution a été déléguée à l’Office des poursuites de Moudon-Oron n’a été parfaite qu’au mois de mars 2006 et non le 15 décembre 2005. L’acte du 10 janvier 2006 est donc antérieur de quelques semaines à la saisie. La condition temporelle spécifique est en conséquence remplie.
ii) Il faut ensuite que le débiteur ait agi dolosivement, soit dans l’intention de porter préjudice à ses créanciers ou de favoriser certains créanciers au détriment des autres. Peu importe que des créanciers déterminés aient été visés. L’intention de porter préjudice aux créanciers doit être retenue dès qu’il est établi que le débiteur ne pouvait ignorer que telle serait la conséquence naturelle de l’acte. L’intention du débiteur est reconnaissable lorsqu’elle est perceptible à qui lui voue l’attention commandée par les circonstances (Schüpbach, op. cit., n. 73 ad art. 288 LP). Cette notion à l’art. 288 LP comprend même la négligence et la condition est remplie lorsque l’auteur de l’acte aurait pu ou dû prévoir que l’acte incriminé aurait pour effet de porter préjudice aux créanciers ou de favoriser certains d’entre eux au détriment des autres (Peter, op. cit., n. 10 ad art. 288 LP et les références citées; H. Peter, L’action révocatoire dans les groupes de sociétés, pp. 115-116; ATF 135 III 276 c. 7; ATF 134 III 615 c. 5.1; ATF 134 III 452 c. 4.1, JT 2009 II 107; ATF 83 III 82 c. 3a et les références citées, JT 1957 II 57). Il y a donc lieu d’examiner si, objectivement, le résultat dommageable devait être considéré comme une conséquence naturelle et prévisible de l’acte révocable (Peter, op. cit., n. 10 ad art. 288 LP). La mauvaise foi étant un acte interne, la preuve indicielle est admissible (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 33 ad art. 288 LP; Schüpbach, op. cit., n. 86 ad art. 288 LP). Les indices sont des faits objectifs avérés qui corroborent une des versions entre lesquelles le juge doit trancher. Un seul indice ne suffit pas; il en faut une convergence (Schüpbach, op. cit., n. 86 ad art. 288 LP). Certains indices soumis à la libre appréciation du juge, tels, notamment, l’insolvabilité du débiteur, le caractère gratuit de son acte, l’existence d’un lien de parenté ou de relations d’affaires entre le débiteur et le bénéficiaire de l’acte, ainsi que l’évolution négative ou prévisiblement négative de la situation, constituent des indices sérieux d’intention frauduleuse (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 37 ad art. 288 LP; Peter, op. cit., n. 12 ad art. 288 LP; ATF 89 III 14 c. 3a, JT 1963 II 57; SJ 1972 p. 311). Si le surendettement du débiteur n’est pas une condition d’application de l’art. 288 LP, une situation financière critique, l’imminence d’un surendettement ou d’une faillite sont autant d’indices propres à éveiller le soupçon d’actes éventuellement frauduleux (Schüpbach, op. cit., n. 90 ad art. 288 LP).
En l’espèce, l’acte litigieux a été effectué alors que la situation financière de N.__ était plus que précaire, qu’il était l’objet de poursuites pour plusieurs millions de francs, qu’un acte d’insuffisance de gage avait été délivré contre lui pour plus de 25 millions de francs et qu’il avait été convoqué à l’Office des poursuites de Morges-Aubonne pour la saisie de ses biens en raison d’une poursuite pour une créance de plus de 28 millions de francs. En outre, la bénéficiaire de l’acte dont la révocation est demandée est son épouse, ce qui constitue également un indice sérieux de l’existence d’un acte dolosif. La deuxième condition spécifique de l’art. 288 LP est ainsi également remplie.
iii) Il faut enfin que l’intention du débiteur de porter préjudice à ses créanciers ait été reconnaissable par le bénéficiaire de l’acte.
Tel est le cas lorsque le bénéficiaire aurait pu et dû se rendre compte de l’intention frauduleuse du débiteur ou aurait pu ou dû prévoir, en usant de l’attention commandée par les circonstances, que l’opération incriminée aurait pour conséquence naturelle de léser les créanciers (ATF 99 III 89, JT 1975 II 27). Selon un auteur (Castella, La connivence du bénéficiaire de l’acte révocable d’après l’art. 288 LP, in JT 1956 II 67 ss, spéc. p. 71), il suffit que le bénéficiaire ait pu et dû se rendre compte que le débiteur était dans une situation gênée et sans espoir ou qu’il était ou serait exposé à des poursuites. Le partenaire ou le tiers est de mauvaise foi dès qu’il est établi qu’il savait ou ne pouvait ignorer l’effet préjudiciable de l’acte auquel il a concouru (Erard-Gilliod, op. cit., pp. 15-16; Gilliéron, Commentaire, op. cit., nn. 38 ss ad art. 288 LP; Schüpbach, op. cit., nn. 73 ss ad art. 288 LP). Si le cocontractant dispose d’éléments lui permettant de savoir que le débiteur, par son acte, a l’intention de porter préjudice à un ou plusieurs de ses créanciers, par exemple si le débiteur est dans une situation financière difficile, il doit spontanément prendre des renseignements afin d’éclaircir la véritable intention du débiteur et les effets de l’acte. Le bénéficiaire sera ainsi tenu d’interroger le débiteur, étant entendu qu’il ne pourra simplement se satisfaire des assurances données par ce dernier (ATF 99 III 89, JT 1975 II 27). L’attention commandée par les circonstances dépend essentiellement de la nature et de la durée des relations entre le débiteur et celui qui concourt à l’acte révocable, que ce dernier lui profite ou profite à des tiers (Peter, op. cit., n. 14 ad art. 288 LP; Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 40 ad art. 288 LP). Tout comme l’intention du débiteur, la connaissance ou la reconnaissabilité par le tiers bénéficiaire de l’acte de cette intention dolosive peut également être établie à l’aide d’indices. Certes, il faut des indices clairs et l’existence de la connivence ne doit pas être admise trop facilement. Toutefois, constitue notamment un indice l’existence de liens de parenté ou de liens personnels entre le débiteur et le tiers. En effet, le parent et l’intime peuvent établir plus facilement la situation du débiteur, ainsi que son intention (Peter, op. cit., n. 16 ad art. 288 LP). A la fin du 19ème siècle déjà, le Tribunal fédéral a considéré que la mauvaise foi de l’art. 288 LP pouvait s’inférer de ce que l’acheteur était un proche parent, le prix de l’immeuble, égal à une contre-créance et de ce que la situation financière du débiteur résultait de l’acte stipulé (ATF 22 I 216 c. 1, JT 1896 I 353). Du reste, ces indices constituent en droit allemand et en droit autrichien des présomptions de mauvaise foi (Schüpbach, op. cit., n. 92 ad art. 288 LP). Constitue également un indice la connaissance par le créancier de la situation financière critique du débiteur (SJ 1980 p. 331; RVJ 1968 p. 184).
En l’espèce, la défenderesse est l’épouse du débiteur N.__, elle vit au même domicile que ce dernier et, selon le procès-verbal de saisie, elle assume l’entier des charges du foyer alors que son mari est sans revenu. C’est au domicile des époux qu’ont été notifiés les actes de poursuite portant sur plusieurs millions de francs. La défenderesse savait qu’en lui achetant la parcelle n° 296 de la commune d’E.__ et en lui payant le prix par compensation d’une créance dont elle se disait titulaire à l’égard de son mari, ce dernier lésait les autres créanciers. La demanderesse a ainsi également établi que la troisième condition spécifique, subjective, est réalisée.
c) Par conséquent, la prétention révocatoire de la demanderesse est également fondée au regard de l’art. 288 LP, l’un n’excluant pas l’autre (Schüpbach, op. cit., n. 145 ad art. 287 LP).
V. a) La révocation a pour but de rétablir la mainmise des créanciers sur des biens dont le débiteur a disposé avant la saisie ou l’ouverture de la faillite dans des circonstances jugées suspectes, dans la mesure des pertes prévisibles ou subies, comme si le débiteur ne s’en était pas dessaisi (art. 285 al. 1 LP; Peter, op. cit., n. 9 ad art. 285 LP). L’action révocatoire n’a cependant pas l’effet – contrairement à ce que pourrait faire croire la lecture littérale de l’art. 291 LP – de rendre nul l’acte révocable, mais seulement de le rendre inopérant entre les parties au procès (Peter, op. cit., n. 2 ad art. 291 LP; Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 9 ad art. 285 LP). De même, le terme de restitution utilisé à l’art. 291 LP est impropre. Le révoqué n’est pas tenu de restituer les biens acquis par un acte révocable, mais il doit uniquement tolérer la procédure d’exécution forcée sur les biens en question de la part des créanciers du débiteur, et ce seulement dans la mesure de leurs pertes prévues ou effectivement subies. Ainsi, si la révocation porte sur un immeuble, il n’est pas nécessaire de rectifier le registre foncier. L’immeuble sera simplement saisi et réalisé sans autre formalité (Peter, op. cit., n. 3 ad art. 291 LP).
Le principe veut que la "restitution", ou plus exactement l’exécution forcée tolérée, porte sur les biens en nature, lorsque ceux-ci existent encore (Peter, op. cit., n. 5 ad art. 291 LP et les références citées). Si le défendeur à l’action révocatoire n’est plus en possession des biens acquis du débiteur, l’obligation de restituer se transforme en une obligation de réparer fondée sur les art. 97 ss CO, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable (Peter, op. cit., n. 6 ad art. 291 LP et les références citées). Lorsque le cocontractant du débiteur ou le bénéficiaire de l’acte juridique révocable a lui-même aliéné le droit patrimonial obtenu par l’acte révocable à un tiers de bonne foi, l’obligation de restitution est ainsi remplacée par l’obligation de rembourser la valeur du droit soustrait à l’exécution forcée, dans les limites du profit réalisé par le cocontractant ou le bénéficiaire et de la perte subie par le créancier dans une poursuite individuelle et spéciale (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 12 ad art. 285 LP).
b) aa) En l’espèce, comme exposé précédemment, c’est le transfert de la parcelle n° 296 de la commune d’E.__ pour paiement de la créance de l’épouse du débiteur qui constitue l’acte révocable, soit celui effectué autrement qu’en numéraire ou valeurs usuelles et qui, de surcroît, a porté préjudice à ses créanciers, respectivement a favorisé certains créanciers – son épouse – au détriment des autres. Ce sont dès lors les conclusions subsidiaires de la demanderesse qui doivent, sur le principe, être accordées, et non les conclusions principales. Du reste, si c’était le paiement par compensation qui devait être révoqué (conclusion principale I), la parcelle n° 296 de la commune d’E.__ resterait propriété de la défenderesse et la demanderesse ne pourrait même pas en requérir la saisie. La seule conséquence serait que la défenderesse serait débitrice du prix de vente à l’égard de N.__ et que celui-ci resterait débiteur de la somme opposée en compensation. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la demanderesse, la situation présente se différencie de celle ayant fait l'objet du jugement de la Cour civile du 7 octobre 2009 (151/2009/DCA), car il n'y avait pas dans cette affaire de bien pouvant être soumis à l'exécution forcée. Il convient par conséquent de faire droit à la conclusion IV de la demande en ce sens que le transfert de la parcelle no 296 de la commune d'E.__ par N.__ à la défenderesse, selon acte notarié Q.__ du 10 juillet 2006, est révoqué.
bb) La cédule hypothécaire de 1'000'000 fr. grevant la parcelle no 296 de la commune d'E.__ a été transférée à la défenderesse, par l’acte de vente du 10 janvier 2006, libre de tous droits à l’égard de tiers, la défenderesse étant, selon l’acte notarié Q.__, seule débitrice et porteur de cette cédule et pouvant en disposer librement, à titre de cédule hypothécaire du propriétaire. Ce fait, constaté dans un titre authentique, est présumé exact (art. 9 al .1 CC [Code civil suisse du 10 décembre 1907; RS 210]; Steinauer, Le Titre préliminaire du Code civil, Traité de droit privé suisse, vol. II/1, nn. 747 s, pp. 279-280). Or, la preuve de son inexactitude n’a pas été rapportée par la défenderesse.
La créance incorporée dans une cédule hypothécaire est de nature abstraite, c’est-à-dire qu’elle n’énonce pas sa cause; elle doit être clairement distinguée de la créance causale résultant, par exemple, du contrat de prêt (Denys, Cédule hypothécaire et mainlevée, JT 2008 Il 3 ss, spéc. n. 4, p. 4 ss; ATF 119 III 105, JT 1996 II 115; ATF 115 II 149, SJ 1989 p. 633 ss). En principe, le propriétaire qui grève son immeuble d'une cédule hypothécaire le fait en faveur d'un créancier gagiste. Les qualités de propriétaire et de titulaire du droit de gage sont alors distinctes (Kamerzin, Le contrat constitutif de cédule hypothécaire, thèse Fribourg 2003, n. 128). L'art. 859 al. 2 CC autorise néanmoins la création de cédules hypothécaires – nominatives ou au porteur – au nom du propriétaire lui-même (ATF 115 II 149 c. 2 et les références citées). Dans une telle situation, les qualités de propriétaire et de titulaire du droit de gage se confondent (Kamerzin, op. cit., nn. 128 ss). Aussi longtemps qu'une cédule hypothécaire du propriétaire se trouve en possession du propriétaire de l'immeuble gagé, la créance qui y est attestée ainsi que le droit de gage foncier n'ont qu'une existence formelle puisque le propriétaire de l'immeuble réunit dans sa personne les qualités de débiteur et de créancier. Ce n'est que lorsque la cédule hypothécaire parvient en mains d'un tiers que la créance hypothécaire peut réellement prendre naissance puisque ce n'est qu'à ce moment-là que les qualités de créancier et de débiteur se séparent l'une de l'autre (ATF 116 II 583, JT 1993 I 347 c. 2b et les références citées; cf. également Steinauer, Les droits réels, tome III, n. 2957, p. 327; Kamerzin, op. cit., nn. 130 et 145).
En cédant simultanément au bien immobilier une cédule hypothécaire du propriétaire, le débiteur a transféré un papier-valeur incorporant une créance et un droit de gage qui diminue la valeur de réalisation de l'immeuble grevé devant faire l'objet de la réalisation, comme exposé ci-dessus. Il convient dès lors de révoquer la cession et le transfert par N.__ à la défenderesse de la propriété de la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr., premier rang, intérêt maximum 10 %, ID [...], créée le 23 décembre 2005 et grevant la parcelle no 296 de la commune d'E.__.
cc) Cependant, après la passation du contrat de vente du 10 janvier 2006, la défenderesse a remis cette cédule hypothécaire à la Banque F.__, d’abord pour garantir un prêt hypothécaire pour le financement d’une maison d’habitation à [...], puis pour garantir les engagements d’une tierce personne auprès de cette banque. Il n’est pas établi que cette dernière n’aurait pas été de bonne foi.
Selon le principe de l'offre suffisante ou de la couverture prévu à l'art. 126 LP, l'adjudication ne peut intervenir que si l'offre la plus élevée est supérieure à la somme des créances garanties par gage qui ont été revendiquées avec succès et qui sont préférables à celles du poursuivant (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 20 ad art. 126 LP; Bettschart, Commentaire Romand, n. 2 ad art. 126 LP). Ce principe est notamment applicable aux ventes aux enchères de biens immobiliers (art. 142a LP et 53 ss ORFI; Bettschart, op. cit., n. 5 ad art. 126 LP, Gilliéron, Poursuite, op. cit., n. 1324). Lorsqu'aucune offre supérieure à la somme des créances garanties par gage préférable à celle du poursuivant n'est faite, la poursuite de ce dernier cesse quant au bien en question et le bien saisi est libéré de la saisie, le poursuivi recouvrant le droit de disposer de son bien, sous réserve des droits du ou des créanciers gagistes. L'office des poursuites doit procéder à une saisie complémentaire conformément à l'art. 145 LP et, si cela n'est pas possible, délivrer un acte de défaut de biens (Bettschart, op. cit., n. 8 ad art. 126 LP).
Compte tenu du principe de l'offre suffisante et des incertitudes relatives au montant de l'offre la plus élevée qui sera faite lors de vente aux enchères de la parcelle no 296 de la commune d'E.__, il n'est pas possible de déterminer précisément le dommage de la demanderesse, qui consiste en la différence entre la valeur de réalisation du bien-fonds sans la cédule hypothécaire et sa valeur de réalisation avec la cédule. L'évaluation de ce dommage ne pourra ainsi être opérée qu'au moment de la vente aux enchères de cette parcelle. On ignore également le montant de la créance garantie par la cédule ainsi que le mode de garantie convenu avec la Banque F.__ (transfert de la cédule en pleine propriété ou nantissement), qui est un tiers de bonne foi. On ne peut ainsi pas déterminer avec certitude si la restitution de la cédule est ou non possible. Dans l'hypothèse où la défenderesse ne pourrait pas remettre prédite cédule à l'office des poursuites dans le cadre de la poursuite que la demanderesse exercera sur la base du présent jugement, l'obligation de restituer le bien en nature est remplacée par une obligation de rembourser la valeur du bien soustrait à l'exécution forcée (Gilliéron, Commentaire, op. cit., n. 20 ad art. 291 LP), soit en l'espèce 1'000'000 francs. En conséquence, faute pour la défenderesse de remettre à l'Office des poursuites procédant aux saisies requises par la demanderesse sur la base du présent jugement la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr. grevant la parcelle no 296 de la commune d'E.__, la défenderesse devra payer auprès dudit office, pour être saisie au préjudice de N.__, en lieu et place de la prédite cédule, la somme de 1'000'000 francs. En revanche, s'agissant d'un dommage futur, il n'y a pas lieu d'allouer les intérêts réclamés par la demanderesse. On ne connaît par ailleurs pas le montant de la créance garantie par la cédule hypothécaire, ni les conditions de cette garantie. On ne saurait ainsi retenir une valeur de réalisation telle qu'elle comprendrait les intérêts réclamés par la demanderesse dans sa conclusion VII.
VI. a) En vertu de l'art. 92 CPC-VD (Code de procédure civile vaudois du 14 décembre 1996; RSV 270.11), les dépens sont alloués à la partie qui a obtenu l'adjudication de ses conclusions (al. 1). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, le juge peut réduire les dépens ou les compenser (al. 2). Ces dépens comprennent principalement les frais de justice payés par la partie, les honoraires et les débours de son avocat (art. 91 let. a CPC-VD). Les frais de justice englobent l'émolument de justice, ainsi que les frais de mesures probatoires. Les honoraires d'avocat sont fixés selon le tarif du 17 juin 1986 des honoraires d'avocat dus à titre de dépens. Les débours consistent dans le paiement d'une somme d'argent précise pour une opération déterminée (timbres, taxes, estampilles).
A l'issue du litige, le juge doit rechercher lequel des plaideurs gagne le procès sur le principe et lui allouer une certaine somme en remboursement de ses frais, à la charge du plaideur perdant, et non répartir les dépens proportionnellement aux montants alloués (Poudret/Haldy/Tappy, op. cit., n. 3 ad art. 92 CPC-VD).
b) En l'espèce, la demanderesse, qui obtient entièrement gain de cause, a droit à des pleins dépens, à la charge de la défenderesse, qu'il convient d'arrêter à 54'384 fr., savoir :
a) | 25'000 | fr. | à titre de participation aux honoraires de son conseil; | |
b) | 1'250 | fr. | pour les débours de celuici; | |
c) | 28'134 | fr. | en remboursement de son coupon de justice. |
Par ces motifs,
la Cour civile,
statuant à huis clos,
prononce :
I. Le transfert de la parcelle no 296 de la commune d'E.__ par N.__ à la défenderesse G.__, selon acte notarié Q.__ du 10 janvier 2006, est révoqué.
II. La cession et le transfert par N.__ à la défenderesse de la propriété de la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr. (un million de francs), premier rang, intérêt maximum 10 %, ID [...], créée le 23 décembre 2005 et grevant la parcelle no 296 d'E.__, sont révoqués.
III. Faute pour la défenderesse de remettre à l'Office des poursuites procédant aux saisies requises par la demanderesse W.__ sur la base du présent jugement la cédule hypothécaire au porteur de 1'000'000 fr. (un million de francs), premier rang, intérêt maximum 10 %, ID [...], créée le 23 décembre 2005 et grevant la parcelle no 296 de la commune d'E.__, libre de tous engagements, la défenderesse devra payer auprès dudit Office, pour être saisie au préjudice de N.__, en lieu et place de la prédite cédule, la somme de 1'000'000 fr. (un million de francs).
IV. Les frais de justice sont arrêtés à 28'134 fr. (vingt-huit mille cent trente-quatre francs) pour la demanderesse et à 8'821 fr. (huit mille huit cent vingt et un francs) pour la défenderesse.
V. La défenderesse versera à la demanderesse le montant de 54'384 fr. (cinquante-quatre mille trois cent huitante-quatre francs) à titre de dépens.
VI. Toutes autres ou plus amples conclusions sont rejetées.
Le président : Le greffier :
P. Muller R. Kramer
Du
Le jugement qui précède, dont le dispositif a été communiqué aux parties le 14 mars 2011, lu et approuvé à huis clos, est notifié, par l'envoi de photocopies, aux conseils des parties.
Les parties peuvent faire appel auprès de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal dans les trente jours dès la notification du présent jugement en
déposant auprès de l'instance d'appel un appel motivé, en deux exemplaires. La décision qui fait l'objet de l'appel doit être jointe au dossier.
Le greffier :
R. Kramer
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