Instanz: | Bundesverwaltungsgericht |
Abteilung: | Abteilung V |
Dossiernummer: | E-3187/2013 |
Datum: | 26.08.2013 |
Leitsatz/Stichwort: | Asile et renvoi |
Schlagwörter : | époux; Quot;; ;elle; écision; été; était; être; ;époux; éposé; édure; écution; Tribunal; ément; ésent; Bosnie; ;asile; égué; Herzégovine; étaient; ;origine; édéral; ;affaire; ;avait; ;instruction; état; édical; Suisse; égale; ;aurait; ;audition |
Rechtsnorm: | Art. 61 VwVG ; |
Referenz BGE: | - |
Kommentar: | - |
Cour V
E-3187/2013
Composition Jean-Pierre Monnet (président du collège), Daniel Willisegger, François Badoud, juges, Isabelle Fournier, greffière.
Parties A. , née le ( ), et ses enfants
, née le ( ),
, né le ( ), Bosnie et Herzégovine, ( ),
recourants,
contre
Quellenweg 6, 3003 Berne, autorité inférieure.
Objet Asile et renvoi ;
décision de l'ODM du 24 mai 2013 / N ( ).
A. (ci-après : la recourante) et ses deux enfants ont déposé, le 19 juin 2011, une demande d'asile en Suisse.
Le 28 juin 2011, la recourante a été sommairement entendue sur ses données personnelles au Centre d'enregistrement et de procédure (CEP) de Vallorbe. L'ODM l'a ensuite convoquée, ainsi que l'aînée de ses enfants, le 12 septembre 2012, afin de les entendre sur leurs motifs d'asile.
Selon ses déclarations, la recourante est d'ethnie bosniaque et originaire de D. (République serbe de Bosnie). En 1992, sa famille s'est
déplacée à E.
(canton de F. , Fédération
croato-musulmane). La recourante s'y est mariée en 1997. Au cours de l'année ( ), elle a créé, avec son époux, une entreprise de ( ). Au cours de l'année ( [indication de l'année]), son époux aurait souhaité obtenir du ministère compétent une licence de ( ), mais il aurait eu, à cette fin, besoin d'un diplôme de scolarité qu'il ne possédait pas. Un policier du nom de X. ( ) lui aurait proposé de lui obtenir un tel document, en l'échange d'une somme d'argent. L'époux de la recourante aurait accepté ce marché, parce que X. lui aurait dit que le document serait émis de manière tout à fait légale. Cependant, le ministère aurait constaté que le diplôme présenté était un faux et une procédure pénale aurait été ouverte contre l'époux de la recourante. X., informé de la procédure, aurait instamment demandé à celui-ci de ne pas citer son nom, en lui promettant, s'il ne le dénonçait pas, de lui restituer la somme qu'il avait reçue, et de lui rembourser tous les frais. L'époux de la recourante aurait été condamné à un mois d'emprisonnement, peine ultérieurement convertie en amende de trois mille KM. Il se serait alors retourné vers X. pour lui réclamer son dû, ce qui représentait au total dix mille KM.
X. n'aurait cependant jamais respecté sa promesse. Durant les années suivantes, l'époux de la recourante, trop occupé par ses affaires, n'aurait pas poursuivi X. En 2009 toutefois, ayant besoin d'argent et lassé des vaines promesses du policier, il aurait déposé une plainte contre lui. Vu la position de X ( ), la police de E. n'aurait pas fait son travail et cherché à étouffer l'affaire. L'époux de la recourante aurait alors déposé plainte auprès de la "police des polices" ("police fédérale"). Cette
démarche ne se serait pas avérée plus efficace. Au contraire, X. aurait, peu après, été nommé à une fonction supérieure ( ).
Pensant que c'était le seul moyen d'obtenir réparation, l'époux de la recourante se serait alors résolu à révéler l'affaire aux médias, dans le courant de ( [indication du mois]) 2010. Dès que les journalistes auraient commencé à enquêter sur l'affaire, le procureur aurait convoqué l'époux de la recourante pour le ( [jour et mois]) 2011. Trois jours avant cette audience, soit le ( [jour et mois]) 2011, une chaîne de télévision aurait passé un sujet sur l'affaire au cours du journal télévisé, comprenant une interview du mari de la recourante. Depuis lors, l'époux de la recourante aurait reçu par téléphone des menaces de mort de la part de X., sur son portable ou à son domicile. Il aurait également été menacé dans la rue quand il rencontrait X. ou l'un de ses proches. Il aurait dénoncé les faits à la police, mais les menaces se seraient poursuivies. La recourante et son époux auraient vécu dans l'angoisse. Ils n'auraient plus laissé sortir leurs enfants dans la rue, sinon pour se rendre à l'école, où ils les auraient toujours accompagnés.
Le ( [jour et mois]) 2011, la recourante se serait trouvée seule avec ses enfants chez elle, quand une voiture se serait arrêtée devant leur maison. Les deux occupants du véhicule l'auraient hélée, lui auraient demandé si son époux était là, puis lui auraient demandé de venir jusqu'à leur voiture. Ils lui auraient alors dit de transmettre à son époux que s'il ne retirait pas sa plainte contre X. jusqu'au vendredi suivant, ils feraient sauter la maison avec ceux qui s'y trouvaient. Après leur départ, la recourante, terrorisée, aurait appelé la police pour signaler les faits. Au retour de son époux, elle l'en aurait informé. Le lendemain, elle aurait quitté leur maison, avec ses enfants, pour se réfugier chez un ami (ou cousin) de son époux à E. . Son époux serait parti de son côté, probablement pour la Croatie. L'ami chez qui elle logeait lui aurait rapidement fait comprendre qu'elle ne pouvait demeurer chez lui, car il ne voulait pas avoir de problème. Sur le conseil de son conjoint, elle aurait quitté le pays avec ses enfants, le 18 juin 2011. Ils seraient partis à destination de la Croatie, où elle espérait retrouver son époux. A son arrivée à Zagreb, désemparée, elle serait tombée sur une personne partant pour la Suisse qui aurait eu pitié d'elle et qui lui aurait proposé de l'y emmener avec ses enfants, sans lui demander de l'argent.
La recourante a dit être entrée clandestinement en Suisse le 19 juin 2011. Elle s'est légitimée par le dépôt de sa carte d'identité et a déclaré que son
passeport et ceux de ses enfants étaient demeurés dans la voiture de la personne qui l'avait conduite en Suisse, dont elle ne connaissait pas l'identité. Elle a également déposé un certificat de mariage, établi le ( [jour et mois]) 2011, et les certificats de naissance de ses enfants. Interrogée en fin d'audition sur ce qu'elle aurait encore à ajouter à ses motifs d'asile, elle a déclaré qu'elle était suivie par un psychiatre et qu'après les épreuves subies durant sa vie, elle ne savait pas si elle aurait la force de recommencer si elle devait retourner dans son pays d'origine.
A l'appui de ses dires, elle a fourni plusieurs documents en serbo-croate (dossier de l'ODM, enveloppe A8), à savoir selon les descriptions succinctes effectuées par l'ODM :
une "dénonciation", du ( [jour et mois]) 2009, du mari de la recourante auprès du Ministère des Affaires intérieures du canton de F. (pièces nos 1 et 2 selon numérotation ODM)
une réponse du Ministère public, du ( [jour et mois]) 2009, accompagnée d'une traduction (pièce non numérotée) ;
une "dénonciation" du ( [jour et mois]) 2010 à la police fédérale "suite à des menaces" avec accusé de réception du ( [jour et mois]) 2010 (pièce n°3);
un CD de l'enregistrement de l'interview du mari de la recourante passée à la "Télévision ( ) à F. " et diffusée "dans toute la Fédération" (pièce n° 4) ;
une convocation du mari de la recourante pour le ( [jour et mois]) 2011, par le Ministère public, datée du ( ) 2010 (pièce n°5);
une déposition du mari de la recourante à la police du canton de F. à E. , du ( [jour et mois]) 2011 (pièce n°6) ;
une déposition de la recourante à la police du canton de F. à E. , du ( [jour et mois]) 2011(pièce n° 7).
La fille de la recourante a, lors de son audition du 12 septembre 2012, déclaré que ses parents avaient constamment peur qu'elle et son frère ne se fassent enlever. Elle a dit ne rien savoir des problèmes rencontrés par ses parents.
Par décision du 24 mai 2013, l'ODM a refusé de reconnaître aux recourants la qualité de réfugié et a rejeté leur demande d'asile. Il a estimé que le policier qui avait menacé l'époux de la recourante avait agi pour des raisons purement crapuleuses et pécuniaires, que l'Etat bosniaque était doté d'autorités policières et judiciaires fonctionnant de manière satisfaisante et qui n'avaient, en l'occurrence, pas refusé leur concours, de sorte que les faits n'étaient pas pertinents pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. Il a par ailleurs relevé que la recourante n'aurait pas attendu le mois de juin 2011 pour quitter le pays si elle s'était sentie réellement menacée, que le policier serait intervenu de manière plus "drastique", avant que l'affaire ne prenne cette ampleur, s'il avait eu réellement l'intention de s'en prendre à la famille et qu'enfin l'époux de la recourante retournait dans son pays d'origine, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de retenir l'existence d'une crainte fondée de persécution.
Par la même décision, l'ODM a prononcé le renvoi de Suisse des intéressés et ordonné l'exécution de cette mesure. Il a en particulier considéré que celle-ci était raisonnablement exigible dès lors que la recourante avait de la famille en Bosnie et Herzégovine, où elle possédait une maison et une entreprise, et qu'elle pourrait y avoir accès aux soins indispensables. Il a relevé sur ce point que la clinique de F. dispensait des thérapies et que la recourante pourrait, le cas échéant, s'adresser aux services d'aide sociale afin de pouvoir bénéficier du remboursement des frais médicaux, en s'appuyant si nécessaire sur l'aide au retour médicale octroyée par la Suisse en attendant que les démarches administratives en vue de l'octroi de ces prestations soient accomplies.
Par acte du 4 juin 2013, la recourante a déposé un recours contre cette décision en son nom et celui de ses enfants.
Sur le plan formel, elle a fait grief à l'ODM d'avoir gravement violé son devoir d'instruction d'office en ne prenant pas les renseignements nécessaires sur son état de santé et conclu à l'annulation de la décision pour cette raison.
Sur le fond, elle a soutenu qu'elle-même et ses enfants remplissaient les conditions pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. Elle a fait
valoir qu'obtenir des documents en payant des dessous-de-table faisait partie du fonctionnement "normal" de l'administration dans son pays d'origine. Etant victime d'abus de pouvoir et de délits et les ayant dénoncés, son époux ferait, en tant que tel, partie d'un groupe social déterminé nécessitant une protection internationale. A tout le moins les motifs de persécution invoqués devraient-ils être considérés comme d'ordre politique, dès lors que les autorités supérieures n'auraient pas la volonté d'intervenir de manière efficace. L'ODM aurait affirmé à tort que les instances policières et judiciaires en Bosnie et Herzégovine fonctionnaient à de manière satisfaisante. La recourante a souligné que les menaces de mort avaient commencé à partir du moment où son conjoint avait alerté les médias, que son époux, ses enfants et elle-même avaient, dès lors, vécu dans la peur et l'insécurité jusqu'au jour où des hommes de main de X. étaient venus les menacer à leur domicile et qu'on ne pouvait ainsi soutenir, comme l'avait fait l'ODM, que les menaces de X. n'étaient pas sérieuses. Enfin, elle a fait valoir que l'exécution de son renvoi n'était pas raisonnablement exigible puisqu'elle ne pourrait vivre dans son pays avec ses enfants qu'en se cachant par peur des agissements de X. ; une réinstallation serait d'autant plus difficile qu'elle se trouverait sans moyens d'existence, vu que son entreprise n'avait pu fonctionner en raison du comportement du policier et croulait désormais sous les dettes. En tant que directrice, elle risquerait une procédure judiciaire ; leur maison serait sous peu saisie par la banque créancière et ils ne pourraient obtenir un soutien des membres de leur famille qui avaient pris leurs distances en raison de la situation. Elle a précisé qu'elle nécessitait, en raison de son état psychique, une prise en charge à long terme ainsi qu'une situation stable. En Bosnie et Herzégovine, elle ne pourrait obtenir d'aide sociale puisqu'elle n'avait pas payé ses primes d'assurance-maladie durant les deux dernières années et était dans l'incapacité de les rembourser.
Elle a produit la copie d'un document officiel, destinée à démontrer qu'elle était directrice de la société créée avec son conjoint, ainsi qu'un rapport médical établi le 30 mai 2013, précisant qu'elle était suivie depuis le mois d'août 2011, pour un état de stress post-traumatique (CIM-10, F43.1) et un trouble dépressif récurrent, actuel épisode moyen sans symptômes psychotiques (F32.1). Le médecin relevait chez la patiente un état psychique fragile avec des idées suicidaires récurrentes, des angoisses et de la difficulté d'instaurer un lien de confiance.
La recourante a demandé à être dispensée des frais de procédure en raison de son indigence.
Invité à se déterminer sur le recours, l'ODM a, dans sa réponse du 25 juin 2013, maintenu sa décision et proposé le rejet du recours. Il a contesté avoir violé une règle de procédure en n'exigeant pas la production d'un rapport médical, et souligné qu'il n'avait pas remis en cause les problèmes psychologiques de l'intéressée, mais considéré qu'il y avait en Bosnie et Herzégovine, en particulier à F. , l'infrastructure médicale et les traitements psychiatriques adéquats, et que l'accès aux soins ne posait pas de problème. Il a au demeurant estimé que le rapport produit ne faisait pas apparaître un risque concret et sérieux de mise en danger à brève échéance de l'intéressée en cas de retour dans le pays d'origine.
Par acte du 16 juillet 2013, la recourante a déposé sa réplique. Elle a produit un courrier du 20 juin 2013 du centre d'assurance-maladie du
canton de F.
l'informant que l'entreprise pour laquelle elle
travaillait n'avait pas payé les contributions depuis le 30 juin 2008 et que, par conséquent, elle ne pourrait utiliser les services de santé, sauf cas d'urgence, tant qu'elle n'aurait pas payé les sommes dues. Elle a également produit un courrier daté du 4 juillet 2013 émanant du Ministère de l'Intérieur du canton de F. , confirmant que son époux s'était adressé à la police le ( ) juin 2013, au motif qu'il avait reçu le ( ) juin 2013 une lettre que son employé avait ouverte pour lui et qui contenait un message menaçant ainsi que quatre balles. Les agents de police disaient être sur l'affaire, avoir informé le procureur du canton de F. et pris les mesures nécessaires pour "documenter cet événement". Elle a enfin produit une "décision exceptionnelle" du ( ) juin 2013, émanant de l'administration fiscale, direction des impôts de E. . Selon la traduction fournie, dite autorité refuse de lui délivrer l'attestation fiscale sur les obligations remplies, requise aux fins d'obtention de visa, au motif qu'elle est directrice de la société G. , que celle-ci a des impôts impayés et n'a pas rempli ses obligations en ce qui concerne le dépôt des déclarations et de la comptabilité statutaire. Elle précise que la recourante est, en tant que personne physique, responsable des impôts, pénalités et intérêts dus par la personne morale qu'elle représente.
Sur la base de ces pièces, la recourante a fait valoir que les menaces persistaient, que pour des raisons économiques elle n'aurait pas accès aux soins et qu'il n'était pas raisonnablement exigible d'elle qu'elle retourne sur les lieux de son traumatisme. Elle a soutenu que les idées suicidaires présentes chez elle n'étaient pas assimilables, comme l'avait affirmé l'ODM, à celles développées généralement en réaction à un refus de l'asile, qu'elles étaient plus profondes et dues à la peur à laquelle elle avait été confrontée dans son pays d'origine. Elle a produit un nouveau rapport médical, daté du 12 juillet 2013, dont il ressort que la lettre reçue par son époux en juin 2013 a accentué ses angoisses de mort, et a développé des idées suicidaires scénarisées, de sorte que le suivi psychiatrique a dû être intensifié et un traitement médicamenteux antidépresseur et anxiolytique mis en place.
Les autres faits ressortant du dossier seront évoqués si nécessaire dans les considérants qui suivent.
En vertu de l’art. 31 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF, RS 173.32), le Tribunal administratif fédéral (ci-après : le Tribunal) connaît des recours contre les décisions au sens de l’art. 5 de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA, RS 172.021), prises par les autorités mentionnées à l’art. 33 LTAF.
En particulier, les décisions rendues par l’ODM concernant l’asile peuvent être contestées devant le Tribunal (cf. art. 105 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile [LAsi, RS 142.31]), lequel statue alors définitivement, sauf demande d’extradition déposée par l’Etat dont le requérant cherche à se protéger (art. 83 let. d ch. 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF, RS 173.110]).
Les recourants ont qualité pour recourir. Présenté dans la forme et dans les délais prescrits par la loi, le recours est recevable (cf. art. 48 et 52 PA et art. 108 al. 2 LAsi, appliqué en l'occurrence par l'ODM).
Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur Etat d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes (art. 3 al. 1 et 2 LAsi).
Quiconque demande l’asile (requérant) doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu’il est un réfugié. La qualité de réfugié est vraisemblable lorsque l’autorité estime que celle-ci est hautement probable. Ne sont pas vraisemblables notamment les allégations qui, sur des points essentiels, ne sont pas suffisamment fondées, qui sont contradictoires, qui ne correspondent pas aux faits ou qui reposent de manière déterminante sur des moyens de preuve faux ou falsifiés (art. 7 LAsi).
En l’occurrence, la recourante a fait valoir que l'ODM avait manqué à son obligation d'établir d'office les faits déterminants en ne sollicitant pas la production d'un rapport médical lui permettant d'apprécier, en connaissance de cause, les aspects liés à l'exécution du renvoi.
Il appartient en premier lieu au requérant d'asile, en vertu de son devoir de collaborer (cf. art. 8 LAsi), d'informer l'autorité de tous les éléments ayant trait à sa situation personnelle, en particulier de ceux qui pourraient faire obstacle à l'exécution de son renvoi. Dès lors, il doit décrire de manière concrète les éventuels troubles de santé dont il souffre et qui nécessitent des soins essentiels. Lorsque de tels empêchements sont avancés de manière substantielle par l'intéressé, l'ODM est tenu, conformément à son devoir d'instruction d'office, d'exiger la production d'un rapport médical (cf. ATAF 2009/50 consid.10.2.2). En l'occurrence, la recourante a uniquement déclaré, à l'issue de l'audition sur ses motifs, qu'en Suisse elle était suivie par un psychiatre, qu'elle prenait des médicaments et arrivait ainsi à "s'en sortir", mais qu'elle ne savait pas si elle était capable d'affronter un retour dans son pays (cf. pv
de l'audition du 12 septembre 2012 Q. 85 p. 11). On peut laisser indécise la question de savoir si elle avait, ainsi, allégué de manière suffisamment concrète l'existence de problèmes de santé susceptibles d'être déterminants pour l'exécution de son renvoi. En effet, vu le rapport médical déposé avec le recours, une instruction complémentaire ne se justifie de toute façon plus pour déterminer la gravité de l'état de santé de la recourante et la nature des soins qu'elle requiert.
Cela dit, une instruction complémentaire s'impose pour d'autres motifs. L'ODM a relevé dans sa réplique qu'indépendamment de la gravité de l'état psychique de la recourante, il existait en Bosnie et Herzégovine, et en particulier à F. , les structures de soins adéquates pour les traitements psychiatriques. Une telle argumentation ne saurait être soutenue. D'une part, on ne peut affirmer, de manière aussi catégorique que l'ODM, sans se pencher sur les circonstances concrètes du cas, que l'accès aux soins ne pose pas de problème dans le pays d'origine de la recourante (sur la situation concernant notamment l'accès aux traitements pour des maladies psychiques, cf. par ex. arrêt du Tribunal D-6590/2012 du 25 mai 2013). D'autre part, à partir du moment où il ne remettait pas en cause les allégués de fait de l'intéressée, ce qui impliquait également qu'il ne contestait pas l'angoisse dans laquelle celleci affirmait avoir vécu, il ne pouvait raisonnablement exiger de la recourante qu'elle retourne précisément dans sa région d'origine et se rende à l'hôpital de F. pour y être suivie.
En l'état du dossier, le Tribunal ne saurait partager l'appréciation de l'ODM quant au risque de mise à exécution des menaces de X. D'autres mesures d'instruction complémentaires s'imposent afin de pouvoir apprécier en toute connaissance de cause les risques allégués par la recourante.
Comme relevé plus haut, l'ODM n'a pas mis en doute la vraisemblance des faits allégués par la recourante.
Celle-ci a fourni, à l'appui de ses dires, un certain nombre de moyens de preuve (cf. ci-dessus let. A). Le Tribunal observe tout d'abord que seul un document était accompagné d'une traduction et que l'ODM n'a pas exigé de traduction des autres documents. Il les a joints au dossier, dans l'enveloppe intitulée "moyens de preuve" dans l'index (pièce A8), se bornant à mentionner de manière succincte de quoi il s'agissait, sur la base semble-t-il des explications données par la recourante et
l'interprète le jour de l'audition. Seule la traduction réalisée avec l'interprète du document n° 6 a été entièrement consignée dans le procès-verbal (cf. Q. 75 et 76 du pv de l'audition du 12 septembre 2012). Les explications et traductions relatives aux autres documents ne sont que partiellement rapportées (cf. Q. 43 pour le document n° 3 ; Q. 47 pour le n° 5 et Q. 80 pour le document n° 7). En outre, le CD comprenant, selon la description, l'enregistrement de l'interview du conjoint de la recourante à la télévision, a simplement été versé au dossier, sans qu'une transcription de son contenu, en particulier des déclarations faites par l'intéressé à cette occasion ni une traduction de celles-ci, n'aient été exécutées. Une telle manière de procéder n'est pas conforme à l'obligation d'une tenue adéquate du dossier, qui doit permettre à toutes les parties, y compris au mandataire de la partie recourante et à l'autorité de recours, de consulter les pièces déterminantes et de se prononcer à leur égard (cf. ATAF E-5688/2012 du 18 mars 2013 consid. 6.4.1 et 6.4.2 destiné à publication).
Le Tribunal n'entend pas, à ce stade, discuter de la question de savoir si les menaces alléguées étaient déterminantes au regard de l'art. 3 LAsi, comme le soutient la recourante ou si les actes de X. et des siens doivent être considérés comme ayant un caractère purement crapuleux. Quoi qu'il en soit, une instruction plus poussée s'impose, en sus de la traduction des documents présentés, pour apprécier le risque concret d'un retour à E. pour les recourants. L'ODM a en effet admis de manière trop générale la vraisemblance des allégués de la recourante pour pouvoir exclure tout risque concret, pour celle-ci et les siens, en cas de retour dans leur région d'origine. La décision entreprise présente à l'évidence une contradiction à cet égard. En effet, si les faits allégués sont vrais, alors l'ODM ne pouvait, vu la position de X. et de son frère, ignorer les allégués de l'intéressée selon lesquels aucune suite n'avait été donnée à leurs plaintes. Il ne pouvait non plus exclure un risque réel de mise à exécution des menaces à partir du moment ou X. sentait que l'affaire pouvait, parce que les médias s'intéressaient à elle, prendre de l'ampleur et sortir du cadre local sur lequel il avait l'influence nécessaire. On ne saurait sérieusement prétendre par une simple déduction que, parce qu'il ne les avait pas encore mises à exécution, ces menaces n'étaient pas sérieuses. Ce serait en particulier faire fi des indices objectifs et concrets allégués par la recourante, lesquels ont également contribué à la situation d'angoisse dans laquelle celle-ci dit avoir vécu et dont ses enfants, en particulier sa fille, qui a été personnellement interrogée par l'ODM, a témoigné. Dans ce cadre, il importe en particulier
d'avoir plus d'informations sur le contenu de l'interview télévisée et sur l'audience de la chaîne qui l'aurait diffusée.
L'instruction telle que menée par l'ODM ne permet pas d'avoir une vision de l'ensemble des faits déterminants, la recourante ayant pour sa part déposé des documents qui ne livrent pas, non plus, une image complète des tenants et aboutissants de l'affaire.
L'ODM devra tout d'abord réunir davantage de précisions concernant les rapports entre X. et l'époux de la recourante, permettant de comprendre pourquoi celui-ci s'était adressé à un policier pour obtenir un diplôme de scolarité. La recourante n'a pas été suffisamment interrogée sur ce point (cf. pv de l'audition du 12 septembre 2012 Q. 34-35 p. 5). Sous réserve de leur traduction complète et, notamment, de la transcription de l'interview télévisée, les documents fournis par la recourante ne permettent pas de comprendre la nature du conflit entre X. et son mari. Il conviendra en conséquence, de lui demander la production d'autres pièces, notamment le jugement de condamnation de son époux.
La recourante, qui a produit avec sa réplique de nouveaux documents à l'appui de ses conclusions, devrait disposer d'une adresse à laquelle joindre son conjoint. Elle n'a pas été interrogée sur les raisons pour lesquelles son époux résiderait en Croatie, ni sous quel statut, ni sur les motifs pour lesquels elle n'est pas restée avec lui dans ce pays, ni sur les démarches que celui-ci continue d'entreprendre en Bosnie et Herzégovine pour la défense de ses droits. Le cas échéant, ce dernier pourrait être interrogé, par l'intermédiaire d'une représentation suisse en Croatie, voire en Bosnie et Herzégovine, s'il devait s'y être réinstallé.
En procédure de recours, la recourante a produit, au stade de la réplique, des documents dont il y a lieu de conclure que la société créée avec son mari aurait encore un employé, lequel aurait reçu et ouvert, selon les instructions du mari de la recourante, un courrier de menaces contenant quatre balles ; par ailleurs, l'époux de la recourante aurait déposé plainte personnellement auprès de la police de F. . Ces nouveaux documents ne sont, a priori, pas compatibles avec l'affirmation de la recourante, selon laquelle son époux ne peut que retourner "en cachette" chez lui, de peur des agissements de X. (cf. pv de l'audition du 12 septembre 2012 Q. 12 p. 2). Il n'est en effet pas crédible, dans ces conditions, qu'il dépose plainte en se rendant dans les bureaux faisant partie du fief de X. et de ses acolytes. Par ailleurs, il ressort des
documents que l'entreprise continue à bénéficier des services d'un employé, qui ouvre le courrier, alors que la recourante a affirmé qu'elle était "en veilleuse" (cf. ibid. Q. 24 p. 4). Des explications devront être exigées à ce sujet de la recourante ou de son conjoint, non seulement sur le lieu de séjour actuel de ce dernier, mais aussi sur ses activités actuelles et celles de la société.
Les recours contre les décisions de l'ODM en matière d'asile et de renvoi sont en principe des recours en réforme, exceptionnellement des recours en cassation (cf. art. 61 al. 1 PA). Une instruction insuffisante ne conduit donc pas, par principe, à la cassation de la décision attaquée.
Toutefois, la réforme présuppose un dossier suffisamment mûr pour qu'une décision puisse être prononcée, étant précisé qu'il n'appartient pas à l'autorité de recours de procéder à des investigations complémentaires d'ampleur excessive (cf. MADELEINE CAMPRUBI, commentaire ad art. 61 PA in : VwVG, Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, Auer/Müller/Schindler [éd.], Zurich/St. Gall 2008, p. 774 ; PHILIPPE WEISSENBERGER, commentaire ad art. 61 PA, in : Praxiskommentar VwVG, Waldmann/Weissenberger [éd.], Zurich/Bâle/Genève 2009, p. 1210 ; ANDRÉ MOSER/MICHAEL BEUSCH/LORENZ KNEUBÜHLER, Prozessieren vor dem Bundesverwaltungsgericht, Bâle 2008, p. 49).
En l'occurrence, il convient, comme indiqué plus haut, de procéder à des mesures d'instruction supplémentaires. L'ODM devra d'abord remédier à l'absence de traduction de certains moyens de preuve déposés par la recourante et procéder, en particulier, à une transcription et à une traduction des déclarations faites par son époux lors de l'interview télévisée qui serait enregistrée sur le CD produit.
Il lui appartiendra ensuite de requérir d'autres documents de la recourante permettant d'établir les tenants et aboutissants du conflit entre le mari de la recourante et X. En particulier, devront être demandées à la une copie du jugement condamnant son conjoint ainsi que la preuve de la procédure judiciaire (motif de la persécution alléguée) ouverte contre le dénommé X. Enfin, celle-ci devra être invitée à s'exprimer de manière exhaustive sur les pièces récemment produites et sur la situation actuelle de son mari, de leur société et des démarches policières et judiciaires
actuellement en cours en Bosnie et Herzégovine, y compris sur le plan civil.
Suivant les informations obtenues, une enquête sur place pourra s'avérer nécessaire, éventuellement une audition de l'époux de la recourante par l'intermédiaire d'une représentation suisse à l'étranger. Ces mesures d'instruction devraient également servir, au cas où des menaces locales devaient être considérées comme vraisemblables, à établir les éléments nécessaires pour vérifier s'il existerait, pour la recourante et ses enfants, la possibilité de s'installer dans une autre région du pays.
Les mesures d'instruction à entreprendre dépassent l'ampleur de celles qui incombent au Tribunal. Partant, il y a lieu d'annuler la décision attaquée pour établissement inexact ou incomplet de l'état de fait pertinent (cf. art. 106 al. 1 let. b LAsi), et de renvoyer la cause à l'ODM pour complément d'instruction au sens des considérants et nouvelle décision (cf. art. 61 al. 1 PA).
Vu l'issue de la procédure, il n'y a pas lieu de percevoir de frais (art. 63 al. 1 et 2 PA).
La demande d'assistance judiciaire des recourant est, en conséquence, sans objet.
Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens aux recourants. En effet, ceux-ci n'étaient pas représentés et ils ne sont pas réputés avoir supporté du fait de la procédure des frais relativement élevés au sens de l'art. 64 al. 1 PA.
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Le recours est admis, dans le sens des considérants.
La décision de l'ODM, du 24 mai 2013, est annulée et le dossier renvoyé à l'ODM pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Il n'est pas perçu de frais.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.
Il n'est pas alloué de dépens.
Le présent arrêt est adressé aux recourants, à l’ODM et à l’autorité cantonale compétente
Le président du collège : La greffière :
Jean-Pierre Monnet Isabelle Fournier
Expédition :
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